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La nutrigénomique : la révolution de la nutrition

Dis-moi qui tu es, je te dirai quoi manger ! Voilà ce que vous diront bientôt vos médecins. En scrutant votre code génétique, les nutritionnistes pourront vous concocter un menu personnalisé qui vous évitera des maladies auxquelles vous étiez prédisposés. Science-fiction ? Non, le fantastique monde de la nutrigénomique est déjà à nos portes. | Par Vanessa Quintal

Différentes personnes peuvent manger le même aliment et avoir des réactions tout à fait divergentes : l’une développera un excès de poids, l’autre y sera allergique tandis que chez une tierce personne, cela n’aura aucune incidence. Pourquoi ? Les recherches sur le génome humain nous aide désormais à comprendre comment l’alimentation affecte nos gènes et pourquoi chaque individu réagit différemment aux mêmes régimes alimentaires.

Voilà ce que l’on appelle la nutrigénomique, une toute nouvelle science née du décryptage du génome humain et qui suscite un engouement exceptionnel. Rien d’étonnant puisqu’elle est sur le point de révolutionner la façon dont nous mangeons, en étudiant la manière dont les gènes interagissent avec les nutriments. Autrement dit, la nutrigénomique se penche sur la façon dont notre code génétique influe sur nos besoins en nutriments afin de nous aider à maintenir une santé optimale tout au long de notre vie. Il est ainsi possible, en lisant le code génétique d’un individu, de savoir s’il est, par exemple, prédisposé au diabète ou encore à certains types de cancers et de le « guérir » en aval.

Les vraies stars : les protéines
Bien que les gènes mobilisent l’attention, ce sont en fait les protéines de la cellule qui font tout le travail. Les gènes portent des informations qui permettent à la cellule de fabriquer des protéines. Ce sont donc elles qui déterminent toute une série de caractéristiques telles que l’apparence de l’organisme, ses fonctions et même son comportement. Les nutriments, donc notre alimentation, agissent directement sur ces protéines.

Reflet de l’évolution humaine
Pour bien comprendre la nutrigénomique, il faut savoir observer le corps humain dans toute sa fascinante évolution. En voici une illustration éloquente. Il y a plusieurs millions d’années, l’être humain était essentiellement un chasseur et ingurgitait alors de bonnes quantités de viande et par conséquent de bonnes quantités de fer. Puis, il s’est sédentarisé en devenant cueilleur. Soudainement, son corps a souffert de carence en fer causant une anémie grave pouvant mener à l’infertilité et donc à l’extinction de la race. Pour survivre, le corps humain, cette machine incroyablement performante, a donc développé un gène qui a la faculté de stocker le fer. Le hic, c’est que ce gène encore présent aujourd’hui chez certaines personnes cause de graves dégâts. Ces personnes ont des taux de fer pouvant atteindre 50 grammes alors que le taux normal se situe autour de 2,5 grammes. C’est ce que l’on appelle l’hémochromatose. Désormais, grâce à la nutrigénomique, on peut reconnaître ce gène et offrir aux personnes qui le possèdent, soit un Canadien sur 327, une alimentation sur mesure afin de diminuer leur taux de fer.

À la base de la nutrigénomique : la découverte du génome humain

Au début des années 2000, des équipes de chercheurs se livrent à une véritable course contre la montre afin de publier leurs conclusions dans deux des magazines les plus prestigieux au monde, soit Nature et Science. La première ébauche du génome humain était dévoilée durant l’année 2001. La séquence complète a été terminée en 2004, une performance incroyable puisqu’elle contient 30 000 gènes, c’est-à-dire 3,2 milliards de lettres.

Des gènes éthiques? 

La nutrigénomique transformera profondément le paysage de la nutrition, mais aussi prometteuse puisse-t-elle être, elle soulève également de nombreuses questions sur le plan éthique. Qui prendra en charge l’information sur le profil génétique des patients? Qui pourra avoir accès à ces informations? Quels en seront les coûts et qui pourra se les offrir? Faut-il encadrer la nutrigénomique de règles d’éthique? Au Québec, les intervenants en santé publique se penchent déjà sur ces questions. 

 

Des aliments qui nous soignent
Selon l’éminent M.D., Ph.D. Emile Levy, professeur au département de nutrition à l’Université de Montréal, directeur scientifique au CHU Sainte-Justine et détenteur de la Chaire J.A. de Sève de recherche en nutrition, la nutrigénomique fait la preuve que les aliments peuvent être aussi efficaces, parfois plus, que les médicaments.

« L’identification de l’interaction entre l’alimentation et les gènes profitera non seulement aux individus en quête de conseils en matière de nutrition, mais permettra d’une part d’améliorer les recommandations des organismes de santé publique en leur fournissant des données scientifiques quant à l’existence de liens entre l’alimentation et la santé », dit-il.

D’autre part, la nutrigénomique permettra d’améliorer les conseils nutritionnels auprès de certaines populations entières. Nous n’avons qu’à penser aux populations amérindiennes dont le patrimoine génétique fait en sorte qu’elles soient aujourd’hui, suite à des changements radicaux de leur alimentation, grandement atteintes de diabète. Les Asiatiques, quant à eux, partagent deux gènes qui les rendent intolérants au lactose.

Selon le Docteur Levy, le Tiers-Monde pourrait également bénéficier de cette jeune science. « En connaissant les régions où il y a une famine et le patrimoine génétique des personnes frappées, on peut les aider à créer des aliments qui viendront combler leurs besoins de façon optimale », affirme-t-il.

Un régime pour tous ?
On a beaucoup entendu parler des vertus du régime méditerranéen ou encore des bienfaits du soya. Mais les bienfaits sont-ils les mêmes pour toutes les populations, partout sur le globe ? « Le régime méditerranéen a fait ses preuves. Manger des fruits, des légumes, moins de viande rouge et plus de poisson est bon pour tous. Par contre, nous constatons que plusieurs régimes traditionnels comme celui des Inuits ou des Amérindiens étaient adaptés à leur génome, contrairement aux régimes d’aujourd’hui qui ont entraîné des dégâts considérables, notamment le diabète».

De la même manière, il n’est pas évident que la consommation du soya par les populations asiatiques – que l’on a associe au faible taux de cancer – aurait les mêmes effets sur la population nord-américaine. Bref, cette nouvelle science va peut-être nous amener à poser un regard complètement neuf sur certaines théories.

Une « signature alimentaire » à haut coût
Évidemment, la nutrigénomique requiert la connaissance du bagage génétique des gens, une exigence qui nécessite des technologies de pointe qui, pour l’instant, ne sont pas à la portée de tous. Il semble qu’aux États-Unis, plusieurs entreprises proposent déjà des conseils nutritionnels personnalisés en se basant sur le profil génétique de leurs clients, ce que l’on nomme « signature alimentaire », et déterminé à partir d’extrait de salive.

Moyennant des sommes allant de 3 000 à 10 000 $, elles offrent à leurs clients un programme d’alimentation sur mesure censé leur permettre de vivre une vie plus saine, durant laquelle leurs probabilités de développer des maladies chroniques seront minimisées.

De nouveaux aliments à notre service
En étudiant comment la consommation d’un aliment agit sur les gènes, la nutrigénomique laisse également entrevoir des applications qui pourront servir à créer des superaliments, ayant un effet particulier sur l’organisme en fonction de maladies à prévenir, à traiter ou même offrant des bénéfices pour la santé qui surpassent les besoins nutritionnels de base.

« Il y a déjà une course effrénée d’entreprises qui souhaitent développer des aliments qui conviendront parfaitement aux génomes de populations données. », affirme Emile Levy. À quand des yogourts « génétiquement personnalisés » sur les tablettes de nos supermarchés ?