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La chimie des pâtisseries

La chimie des pâtisseries
Photo: Katherine Chase pour unsplash

Il y a quelque chose d’à la fois fascinant et mystérieux dans l’alchimie des pâtisseries : comment est-ce possible qu’avec les mêmes ingrédients – farine, sucre, beurre, œufs et lait – on puisse confectionner une gamme de produits si différents? Biscuits tendres ou croquants, gâteaux moelleux, pâte feuilletée… Tout dépend de la proportion des ingrédients et la manière dont ils sont savamment manipulés.  Pour mieux comprendre et surtout, pour mieux s’amuser en cuisine, voyons de plus près la chimie des ingrédients de la pâtisserie. | Par Christina Blais

Le rôle de la farine dans les pâtisseries

Le gluten

La principale farine utilisée en boulangerie et en pâtisserie est la farine de blé. C’est la seule farine qui contient des protéines spécifiques, capables de s’unir ensemble pour former une substance élastique appelée « gluten ».  Lorsque la farine de blé est mélangée à un liquide, ces protéines s’hydratent, deviennent souples et se lient entre elles pour former un réseau collant et élastique. En travaillant la pâte de manière spécifique (en pétrissant par exemple), le gluten se développe bien.

Un réseau de gluten est essentiel à la production de pains, brioches et croissants, qui en dépendent pour être façonnés, pour retenir les gaz, lever et prendre de l’expansion. En revanche, dans le cas des pâtisseries – gâteaux, biscuits,  muffins et tartes – la présence d’un réseau de gluten les rendrait caoutchouteuses. Heureusement, la formation du gluten peut être contrôlée par l’ajout de certains ingrédients (le sucre et le gras, en particulier) et en évitant les excès de manipulations.

L’amidon

La farine ne contient pas que des protéines. L’amidon (un glucide) compte pour au moins 70% de son poids. Vous êtes vous déjà demandé où se cache l’eau dans une pâte à gâteau après la cuisson ? La plus grande partie est absorbée par l’amidon. Ce gonflement de l’amidon, appelé empesage ou gélatinisation, permet aux pâtes de passer d’un état liquide à un état solide et contribue à la formation de la mie.

Le rôle du sucre

Sucre blanc, cassonade, miel… Plusieurs types de sucre sont utilisés en pâtisserie. Mais les sucres ne font pas que sucrer : ils agissent aussi sur la texture et la couleur des pâtisseries.

Brunir

Les délicieux goûts de grillé et de caramel qui se développent à la surface des pâtisseries pendant la cuisson est le résultat de deux réactions différentes qui requièrent du sucre: la caramélisation et la réaction de Maillard. La caramélisation se produit lorsque la température du sucre atteint environ 170°C/340°F. La chaleur provoque le bris et la réorganisation des molécules de sucre pour former une foule de nouvelles molécules colorées qui dégagent des arômes de caramel. La réaction de Maillard pour sa part, est une série de réactions entre un sucre (le fructose et glucose en particulier) et des protéines (celles présentes dans les œufs, le lait ou  la farine par exemple), qui se produit aussi à température élevée. La réaction de Maillard créée des centaines de nouvelles molécules de couleur brunâtre qui dégagent des arômes de grillé.

Attendrir

Le sucre, en s’accaparant d’une partie de l’eau contenue dans une pâte, et en entourant les protéines de la farine,  freine le développement du gluten.  Moins il y a formation de gluten, plus la mie sera tendre et fondante en bouche. Mais il y a plus encore : le sucre augmente la température à laquelle les protéines du gluten et des œufs se solidifient (coagulent) ainsi que la température à laquelle l’amidon commence à s’empeser (absorber le liquide) à la cuisson. Traduction : la bonne dose de sucre permet aux pâtes à gâteaux de lever plus haut avant que la chaleur du four ne vienne raffermir la mie.

Conserver l’humidité

Les sucres, du fait qu’ils soient  hygroscopiques, (capables de lier l’eau), aident à retenir l’humidité dans la mie des produits de boulangerie et de pâtisseries. Le miel, la mélasse, le sirop de maïs et la cassonade conservent mieux l’humidité que le sucre blanc.

À SAVOIR

Le miel (riche en fructose) et le sirop de mais (riche en glucose et/ou en fructose) brunissent et caramélisent plus facilement à la cuisson que le sucre blanc. Si vous remplacez le sucre blanc dans une recette de biscuit, gâteau ou muffin par du fructose granulé, du miel ou du sirop de mais, ne soyez pas étonné que le produit résultant soit plus doré.

Le rôle des matières grasses

Les huiles et les graisses (beurre, margarine, graisse végétale) donnent du goût, modifient la texture et surtout, attendrissent les pâtisseries.

Attendrir

Lorsqu’elles sont mélangées à de la farine, les matières grasses enrobent les protéines de la farine et les empêchent de s’attacher ensemble pour former le réseau de gluten. C’est d’ailleurs l’origine du terme « shortening » : les graisses empêchent l’allongement du réseau de gluten. Les matières grasses permettent donc d’attendrir la mie et la rendre fondante en bouche. C’est pour cette raison qu’il y en a peu ou pas dans les pains, mais beaucoup dans les gâteaux, brownies et biscuits.

Aérer

Outre leur fonction attendrissante, les gras solides tels que le beurre et la margarine aident aussi à l’incorporation de bulles d’air lorsque qu’ils sont battus en crème avec du sucre (première étape dans la préparation d’une pâte à gâteau par exemple). Pendant le fouettage, le frottement des cristaux de sucre contre le gras piège des bulles d’air qui restent ensuite emprisonnées dans le gras.

Rendre feuilleté

Les gras solides sont aussi responsables pour la texture feuilletée des pâtes brisées et feuilletées: les morceaux ou couches de gras dans la pâte fondent à la cuisson et laissent un espace qui s’empli ensuite de vapeur, créant ainsi le feuilletage.

Retarder le rassissement

Les matières grasses (surtout celles qui contiennent aussi des agents émulsifiants tels que la lécithine) ralentissent le rassissement de la mie. Le rassissement est un durcissement progressif qui est causé par un changement de la structure de l’amidon. Ce phénomène appelé rétrogradation, est plus marqué dans les produits qui contiennent peu ou pas de gras ou d’agents émulsifiants. Les matières grasses contribuent aussi à la sensation d’humidité en bouche car ils stimulent la salivation et agissent comme des lubrifiants qui facilitent la déglutination. C’est ce qui explique pourquoi les pâtisseries réduites en gras nous semblent souvent plus sèches en bouche.

Le rôle des liquides 

L’eau présente dans le lait, le jus, les blancs d’œufs, ou tout autre ingrédient liquide ou semi liquide sert principalement à dissoudre le sucre, le sel et les agents levants (bicarbonate, poudre à pâte), à gélatiniser l’amidon, à mouiller la farine et former le gluten et, lorsqu’il se transforme en vapeur, à faire lever le produit. La proportion d’eau dans une recette détermine si un produit sera croustillant ou moelleux.  Une pâte brisée ou à biscuit contient très peu d’eau : c’est ce qui explique leur croustillance. À l’inverse, les crêpes, gâteaux et muffins contiennent beaucoup de liquide qui est absorbé par l’amidon, produisant une mie tendre et humide.

Le rôle des œufs dans les pâtisseries

Les œufs sont essentiels à la structure d’un bon nombre de pâtisseries. Ils ajoutent aussi du goût et ils contribuent au brunissement des croûtes par le biais de la réaction de Maillard. Mais pour le reste, il faut considérer le rôle des blancs et des jaunes séparément.

Soutenir

Les blancs d’œufs contiennent surtout de l’eau (90%) mais aussi des protéines (10%). Les protéines des blancs, en coagulant à la cuisson, viennent renforcer les parois des alvéoles de la mie (pensez à une omelette qui durcit en cuisant). Un gâteau au beurre par exemple, ne se tiendrait pas debout sans l’importante contribution des protéines des œufs. Les blancs d’œufs battus en neige forment la charpente des gâteaux des anges, alors que les œufs entiers battus en mousse forment la charpente des génoises.

Émulsifier

Les jaunes d’œufs contiennent des protéines structurantes, des matières grasses attendrissantes mais aussi des agents émulsifiants tels que la lécithine. Les émulsifiants sont des molécules entremetteuses qui permettent de mélanger les matières grasses et l’eau sans qu’ils ne se séparent. Sans la contribution de la lécithine des jaunes d’œufs, les huiles et les graisses s’incorporeraient mal aux ingrédients liquides des pâtes et détrempes. Dans une pâte à gâteau par exemple, les émulsifiants du jaune d’oeuf aident à disperser les matières graisses en minuscules gouttelettes, ce qui assure une mie fine et uniforme. Ils aident aussi à ralentir le rassissement.

Le sel

Le sel est le seul ingrédient qui ne soit pas essentiel dans les pâtisserie, encore que, utilisé en petite quantité, il relève le goût des autres ingrédients (vanille, café, caramel et chocolat par exemple) et en atténue leur amertume.

Les agents levants des pâtisseries

Trois agents levants agissent de concert pour faire lever les pâtisseries : l’air, la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone (C02).

L’air

L’air ne se dilate pas beaucoup lorsqu’il est chauffé et sa contribution à la levée des pâtisseries est minime. Les bulles d’air qui sont incorporées en fouettant, ou par l’addition de blancs d’œufs montés en neige, servent principalement à créer des alvéoles qui s’empliront de dioxyde de carbone ou de vapeur d’eau durant la cuisson.

La vapeur

La vapeur est un agent levain beaucoup plus efficace que l’air. Lorsque l’eau passe de l’état liquide à l’état gazeux, il occupe un volume au moins 1000 fois plus grand.  Dans les gâteaux des anges, génoises et soufflés, ce n’est pas tant l’air qui les fait lever que l’eau qui se transforme en vapeur et emplie les bulles d’air.

Le dioxyde de carbone

Le dioxyde de carbone peut provenir de deux sources : la poudre à pâte et/ou le bicarbonate de sodium.

Le bicarbonate de sodium

Le bicarbonate de sodium (ou de soude) est un composé alcalin, qui en présence d’un acide, produit du C02. En cuisine, les ingrédients acides les plus souvent utilisés sont le babeurre (ou du lait suri par l’addition de vinaigre ou de jus de citron), le yogourt, la crème sure, le miel, la mélasse ou des purées de fruits (banane, pommes).  Mais comme les recettes ne contiennent pas toujours un ingrédient acide, il faut une alternative : la poudre à pâte.

La poudre à pâte

La poudre à pâte (aussi appelée poudre à lever ou levure chimique) est un mélange de bicarbonate de sodium et de phosphate monocalcique (un acide) dans les proportions requises pour produire du C02. Le mélange contient aussi de la fécule de mais qui sert simplement à garder les deux antagonistes séparés. Souvent, dans une même recette, vous trouverez du bicarbonate de sodium et de la poudre à pâte. Les deux sont nécessaires car le bicarbonate n’est pas une source assez fiable de dioxyde de carbone, surtout lorsque la recette contient beaucoup de farine. Il se peut aussi que la recette ne contienne pas assez d’ingrédients acides pour réagir avec le bicarbonate et faire lever le produit. Il faut donc inclure de la poudre à pâte pour assurer la levée.

À SAVOIR

Trop de bicarbonate laisse un arrière‑goût amer et désagréable dans les muffins, biscuits et gâteaux. De plus, parce qu’il rend la pâte plus alcaline, celle-ci brunit davantage à la cuisson (les réactions de Maillard et la caramélisation sont favorisés en milieu alcalin). Le bicarbonate peut aussi causer des changements de couleurs dans les fruits tels que les bleuets, fraises et cerises. Voilà pourquoi les bleuets deviennent parfois verts dans les muffins et les crêpes!

TRUC

La poudre à pâte perd de son efficacité avec le temps, surtout si elle est exposée à des conditions très humides. Pour vérifier si elle est encore active, mélangez-en une petite quantité avec un peu d’eau chaude. Si vous observez de l’effervescence, c’est que votre poudre à pâte est encore efficace.

La chimie et physique de la cuisson des pâtisseries

Que se passe-il dans les pâtes et détrempes durant la cuisson ?

Les graisses et sucres fondent

  • Le sucre et les matières grasses fondent, ce qui rend la pâte plus liquide. Les pâtes à biscuits s’étalent sur la plaque à cuisson, alors que les pâtes à gâteaux deviennent plus coulantes. Voilà, entre autre, pourquoi le type de gras utilisé affecte l’apparence des biscuits : des biscuits à base de graisse végétale (qui fond vers 115°F /46°C) s’étalent moins que ceux faits avec du beurre (qui fond vers 95°F /36°C).

Les gaz se dilatent

  • La poudre à pâte produit du C02 et une partie de l’eau se transforme en vapeur. Les bulles d’air dans la pâte s’emplissent de ces gaz. qui prennent de l’expansion et augmentent le volume des bulles. La température du four est souvent réglée pour mettre ce phénomène à profit. Un four chaud provoque une levée plus rapide.

Les protéines coagulent et la pâte se solidifie.

  • Tant et aussi longtemps que les protéines ne sont pas coagulés par la chaleur, les pâtes et détrempes sont poussées vers le haut sous l’effet des gaz. La température à laquelle les protéines des œufs et de la farine se coagulent dépend, entre autre, de la quantité de sucre (le sucre fait augmenter la température de coagulation) et de l’acidité de la pâte (une pâte acide se raffermit plus rapidement).

L’amidon se gélatinise.

  • Au fur et à mesure que la température de la pâte s’élève, les granules d’amidon absorbent l’eau. La température d’empesage dépend entre autre de la quantité de sucre (le sucre fait augmenter la température d’empesage).

La croûte se forme et se colore.

  • Les surfaces se déshydratent et atteignent des températures très élevées, de plus de 150°C (300F) ce qui permet les réactions de caramélisation et de Maillard.  En revanche, l’intérieur de la pâte qui contient beaucoup plus d’eau, dépasse rarement une température de 100°C (212F) et donc ne brunit pas.

 

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