LE must

Les mystères de l’odorat

Le nez, trop souvent oublié ou tenu pour acquis, est tantôt l’allié, tantôt le maître, tantôt l’ennemi des plaisirs gourmands de la table et de la chair. Savez-vous utiliser le vôtre?| Par Jordan LeBel Ph. D., professeur en marketing alimentaire à l’Université Concordia

Le nez humain est un organe fascinant. Il peut détecter plus de 10 000 odeurs différentes. Si notre capacité de détection a diminué — nous pouvions détecter trois fois plus d’odeurs il y a quelques dizaines de milliers d’années —, il reste que l’odorat est le sens le plus développé à la naissance. On l’utilise pour flairer le danger, choisir nos aliments, et même pour choisir un partenaire!

UNE QUESTION DE CULTURE

On ne naît pas avec des préférences olfactives établies, celles-ci se développent par apprentissage, avec une forte influence de l’environnement familial mais aussi culturel. En Occident, par exemple, nous avons plutôt aseptisé notre paysage olfactif, préoccupés que nous sommes par le fait de cacher ou éliminer les odeurs.

En Amérique, il se dépense plus de 30 milliards de dollars par année en produits d’hygiène corporelle et en parfums d’ambiance pour masquer ou couvrir les odeurs corporelles et celles provenant de la cuisine.

Cela tranche avec l’Inde et l’Asie où le voyageur ne peut s’empêcher de remarquer la riche variété d’odeurs et parfums qui se présentent à lui et l’emploi généreux qu’on en fait tant dans les rituels religieux et amoureux qu’en cuisine.

GOÛTER AVEC LE NEZ
En matière d’alimentation, ce qu’on appelle le goût est en vérité davantage une question d’olfaction. Le nez nous permet de percevoir les odeurs qui se dégagent de nos aliments. Sans lui, nos aliments seraient fades. Preuve à l’appui : le nez pincé, on ne peut faire la différence entre un morceau de pomme verte et un morceau d’oignon. Il est très important d’effectuer ce test avec les yeux bandés, car la vue influence nos perceptions des odeurs! Par exemple, dans une pièce peinte en jaune, plusieurs jureront sentir le citron, même si aucune odeur n’est diffusée dans la pièce. Faites-en un jeu avec votre conjoint, demandez-lui de fermer les yeux et portez des aliments à sa bouche en lui demandant de deviner de quoi il s’agit!

L’AROMATHÉRAPIE S’INVITE À SOUPER
Cuisiner avec les odeurs peut être très plaisant, surtout si on sait s’amuser avec celles-ci. Je suis un grand fan de l’approche de la parfumeuse Mandy Aftel. C’est à travers ses travaux que j’ai appris à cuisiner avec les huiles essentielles. Je fais un grand usage des huiles de bergamote, de gingembre, de mandarine verte et de menthe. Une à deux gouttes suffisent pour parfumer un plat ou une boisson. Il y a aussi l’eau de rose et l’eau de fleurs d’oranger qui peuvent parfumer un pouding au riz par exemple. J’ai aussi remarqué que le parfum de la cardamome, du gingembre et de l’anis étoilé peut avoir des effets surprenants pour éveiller les passions…

LE FLAIR POUR LES BONNES AFFAIRES
Les manufacturiers connaissent bien le pouvoir charmeur des odeurs et arômes, qui, soit dit en passant, fonctionne aussi bien sur les hommes que sur les femmes (il ne suffit que de trouver la bonne combinaison pour chacun). Plusieurs marques, depuis le Café Folgers jusqu’aux assouplisseurs Downy en passant par Monsieur Net et des marques de yogourts, doivent leur succès, entre autres, à leurs arômes et parfums uniques, donc pas question de laisser ces décisions au hasard ni aux amateurs. Tout est étudié.

Depuis quelques années, les commerçants se tournent vers les parfums d’ambiance pour améliorer l’expérience en magasins, mais aussi pour dénouer les ficelles du portefeuille. En alimentation, ce n’est pas par hasard si la boulangerie est située à l’entrée de votre épicerie : ses bonnes odeurs créent un état d’appétence et nous incitent à dépenser. Certaines boutiques de lunettes de soleil diffusent des parfums aux notes de noix de coco et de rhum pour vous mettre dans l’esprit des vacances. Et n’avez-vous jamais entendu le bon vieux truc des agents d’immeubles qui font du home staging et recommandent à leurs clients de faire cuire une tarte aux pommes avant de faire visiter leur maison? La raison est plutôt simple et complexe à la fois : dans notre culture, la cannelle et les pommes sont entourées d’associations mentales chargées d’émotions qui renvoient à l’enfance et à la cuisine (le cœur d’une maison) et tout cela enrobé de nostalgie. Pour épater un nouveau partenaire et lui donner envie de revenir ou de rester, devrions-nous home stager notre maison avec les vapeurs d’un bon repas fumant sur la table, un parfum d’ambiance à la vanille, ou encore l’odeur d’un café percolateur?

SOUVENIRS RETROUVÉS
Chez l’humain, l’odorat a aussi un lien direct avec les souvenirs à caractères émotionnels et autobiographiques. De plus, nous avons tendance à décrire les odeurs en employant des mots chargés de significations émotives. On décrira un parfum comme « excitant », une odeur comme « rassurante » ou « apaisante ». L’odorat marque aussi les périodes de notre vie et les personnes y étant associées. Certaines périodes peuvent être marquées par des souvenirs olfactifs ou être associées à ceux-ci. Quant à moi, mon enfance, c’est l’odeur des desserts de ma grand-mère et le parfum qu’elle portait. Ma jeune vingtaine, c’est les magnolias en fleurs sur le campus de l’université où j’étudiais. Et puis l’été, pour moi, c’est un retour à ma recette préférée de limonade au parfum intense de lime fraîche, que je retrouve d’ailleurs dans un de mes parfums préférés pour homme de Guerlain.