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La fraude dans le frigo

Pour la première fois au Canada, une étude tente de mesurer le niveau d’inquiétude des Canadiens à l’égard de la fraude alimentaire. En collaboration avec l’Institut Jean Garon au Québec, une étude menée par l’Université Dalhousie démontre qu’une majorité de Canadiens est préoccupée par la fraude alimentaire (63%). De plus, l’étude révèle que 40 % des consommateurs, tant au Canada qu’au Québec, estiment en avoir été victimes au moins une fois.

La fraude alimentaire ne semble pas préoccuper les Canadiens, du moins de façon générale. La fraude alimentaire peut prendre diverses formes. Entre autres, à l’insu du consommateur, il peut y avoir remplacement d’ingrédients de base par des substituts moins chers, changement de date de péremption, mention erronée du poids, mention d’agriculture biologique sans suivre un cahier de charges strict, et même la vente de poissons issus de l’aquaculture sous le libellé d’une pêche à l’état sauvage. La liste est longue et le nombre de cas répertoriés au Canada et aux États-Unis augmente sans cesse ces derniers temps. | Par Sylvain Charlebois, Doyen de la Faculté en Management, Professeur en Distribution et Politiques Agrolaimentaires, Université Dalhousie et Parrain Fondateur – Institut Jean Garon

Les tomates mexicaines vendues comme des produits de provenance canadienne par la firme ontarienne Mucci ou le poulet biologique qui n’en était pas par l’entreprise Cericola Farms, l’un des plus grands transformateurs de poulet au Canada, sont des exemples très concrets. Mentionnons également cet hôtel bien connu dans l’Est canadien, accusé de servir du jus d’orange frais à 12 $ le verre, lorsque le jus provenait d’un simple contenant, et tout récemment, un restaurant étoilé du guide Michelin condamné à payer une amende de plus de 100 000 dollars pour avoir servi des poissons de moindre qualité, pendant deux ans.

Dans la plupart des cas, ces enquêtes prennent des années et coûtent des centaines de milliers de dollars puisque la preuve est difficile à démontrer. Dans l’ensemble des cas, ce sont des délateurs, d’anciens employés qui rapportent des pratiques frauduleuses qui s’étendent sur plusieurs années.

Pour la première fois au Canada, une étude tente de mesurer le niveau d’inquiétude des Canadiens à l’égard de la fraude alimentaire. En collaboration avec l’Institut Jean Garon au Québec, une étude menée par l’Université Dalhousie démontre qu’une majorité de Canadiens est préoccupée par la fraude alimentaire. De plus, l’étude révèle que 40 % des consommateurs, tant au Canada qu’au Québec, estiment en avoir été victimes au moins une fois. Ces résultats démontrent de plus en plus que le doute est semé et que les consommateurs sont de plus en plus conscients de la situation. Plus préoccupant encore, les personnes souffrant d’allergies et d’intolérances alimentaires sont plus susceptibles d’être inquiétées par la fraude alimentaire, et ce, avec raison.

Selon la même étude, les gens qui disent avoir acheté des produits mal identifiés ou frelatés citent le plus souvent les poissons et produits marins (28 %), les produits liquides tels les huiles et le vin (21 %), les fruits et légumes (14 %) et les charcuteries (11,6 %).

La fraude alimentaire mine le contrat moral qui existe entre le consommateur et l’industrie. Par contre, c’est un point complexe et obscur, et surtout mal compris. Personne ne connaît l’ampleur du problème au Canada, mais il existe et il est bien réel. La majorité des chefs de file de l’industrie avouent que la fraude alimentaire dérange. L’ensemble des entreprises dans le secteur opère de façon très responsable. Il ne suffit que de quelques cas douteux pour gâcher les efforts d’un collectif d’entreprises qui tentent de croître et d’offrir des produits de qualité.

Régler le problème de la fraude alimentaire tout en gardant la confiance des consommateurs est un exercice délicat. D’ailleurs, selon un sondage de la firme Léger Marketing, peu de gens font confiance aux certifications du secteur alimentaire, que ce soit l’appellation biologique ou autre. Alors la partie est loin d’être gagnée. L’étude de l’Université Dalhousie abonde dans le même sens puisqu’à peine 30 % des Canadiens estiment que l’industrie alimentaire elle-même a les compétences nécessaires pour éliminer la fraude alimentaire. La majorité des Canadiens, soit 55 % croient que c’est au régulateur public de régler la situation.

Bref, la fraude alimentaire existe depuis des millénaires. Les premiers cas documentés datent du temps de l’Empire grec. Donc c’est un problème qui ne date pas d’hier ! L’accès à une meilleure technologie et la volonté des consommateurs de traiter avec une chaîne d’approvisionnement alimentaire plus transparente ont changé la donne depuis ces dernières années. Nous sommes en mesure de mieux surveiller les risques, partout. Puisque la délation est d’une importance capitale, il faut lui offrir la protection et l’attention qu’elle mérite. De plus, le développement de nouvelles technologies portables que le client peut utiliser afin de se protéger doit suivre son cours. Par le biais d’instruments qui utilisent des rayons infrarouges, de la résonance nucléaire ou même des tests d’ADN, certains consommateurs européens et asiatiques pourront bientôt analyser les composants de leurs produits alimentaires, à la maison.

Mais en attendant, le meilleur outil contre la fraude alimentaire c’est d’en parler et de dénoncer les malfaiteurs afin de protéger les véritables défenseurs de notre patrimoine agroalimentaire.