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Manger, c’est voter ?

Les épiceries ont revu leur offre de fond en comble pour répondre à la révolution alimentaire du Québec. Si bien, que le consommateur en perd parfois son latin. | Par Patrick Bellerose 

De nos jours, faire son épicerie ressemble étrangement à une visite chez le pharmacien. On doit s’assurer de ne pas trop consommer de sel, de sucre, ou de gras-trans. Il faut aussi savoir si on veut payer plus cher pour des prébiotiques, des probiotiques, des omégas-3, etc. Ajoutez à cela une avalanche d’informations, parfois contradictoires, qui nous proviennent aussi bien de la publicité que des médias. «L’information sur l’alimentation est complexe et changeante, convient JoAnne Labrecque, professeure agrégée du service de l’enseignement du marketing de HEC Montréal. Devant ce choix grandissant, le consommateur est confus.»

Cette obsession nouvelle pour la santé vient principalement des baby-boomers, qui atteignent l’âge de la retraite. Leur fort pouvoir d’achat leur permet de payer un supplément pour obtenir des aliments aux effets bénéfiques. «Mais il n’y a pas que les boomers, tempère Mme Labrecque, les jeunes aussi sont préoccupés par leur santé.» Finie l’époque où on s’empiffrait impunément chez McDo. «Ils ont intégré les principes du Guide alimentaire canadien et connaissent l’impact d’une mauvaise alimentation à long terme.»

Étonnamment, c’est surtout en Amérique du Nord que les consommateurs sont préoccupés par l’apport bénéfique de leur panier d’épicerie. Une étude internationale réalisée par la firme XTC a démontré que près de la moitié des aliments lancés au Canada entre 2005 et 2009 présentaient un argument santé. Comme la santé globale des Nord-Américains est préoccupante, alors l’argument a plus de poids ici. En Europe, l’alimentation est ancrée dans les traditions et moins encline aux changements.

 Vérités et conséquences

Pour répondre à ce désir nouveau des consommateurs pour une alimentation plus saine, les producteurs et les grandes chaînes ont travaillé sur tous les fronts. Tout d’abord, ils ont simplifié les listes d’ingrédients pour rassurer les consommateurs sur le contenu des produits transformés. «On a aussi vu apparaître des sections entières pour les produits biologiques, mais également des produits sans gluten ou sans lactose», souligne JoAnne Labrecque. Les gens ne sont pas nécessairement plus intolérants au lactose et au gluten que par le passé, ajoute-t-elle, mais ils sont mieux informés des effets de ces produits sur leur santé.

Même les fameux «TV Dinner» ont pris le virage santé. «Les repas surgelés ont longtemps été montrés du doigt pour leur piètre qualité, dit Isabelle Marquis, mais ce n’est plus vrai.» Afin de réduire les quantités de sel, de gras et d’additifs, l’industrie a misé sur l’innovation, explique celle qui est consultante, Marketing-conseil alimentaire. «Désormais, on utilise de nouveaux types de plastique ou des gaz dans les barquettes afin de réduire les agents de conservation.»

Malgré tout, le public est parfois dubitatif devant les affirmations «santé» des fabricants. «Ils ont raison d’être sceptiques, estime Mme Marquis. Les règlements sur l’étiquetage sont sévères au Canada, mais certaines entreprises vont trop loin dans la communication des effets bénéfiques de leurs produits.

Chérie, j’ai réduit le budget

Cet intérêt nouveau pour la cuisine n’est pas simplement dû à la passion grandissante des Québécois pour la gastronomie. Beaucoup de familles décident de cuisiner pour réduire le prix du panier d’épicerie. Depuis 2002, le prix des aliments a augmenté de 26% au Québec, selon Statistique Canada. On peut blâmer la hausse du prix de l’essence, mais aussi une mauvaise météo et, au Québec, une grande concentration des chaînes d’épiceries: les prix dans la province sont de 5% à 15% supérieurs à ceux des magasins comparables en Ontario, selon une étude de Marchés mondiaux CIBC parue en 2009.

Malgré cette inflation des prix des aliments, notre comportement en tant que consommateurs demeure paradoxal. «On est prêts à payer un surplus pour quelques aliments de luxe, mais, dans l’ensemble, on ne dépense pas plus qu’avant, souligne JoAnne Labrecque. En fait, la part du budget consacrée à l’épicerie a même diminué depuis 10 ans en raison de la hausse des prix des loyers et des dépenses liées à la voiture.»

Comme quoi le meilleur moyen d’économiser, tout en se faisant plaisir, c’est encore de cuisiner…