LE must

L’agriculture de demain

Au Québec, on retrouve près de 30 000 entreprises agricoles qui nourrissent les consommateurs jour après jour. Parmi celles-là, nombreuses sont celles qui se questionnent sur la voie à prendre, souhaitant se rapprocher d’un modèle holistique tout en devenant plus rentable. Certains voient cette avenue comme une révolution agricole non seulement possible, mais souhaitable, qui veillerait autant à la santé des gens qu’à la santé financière des agriculteurs. | Par Charline-Ève Pilon

Parmi ces incubateurs de changement, la Ferme des Quatre-Temps, située à Hemmingford, fait déjà bien ses preuves. L’agriculteur québécois Jean-Martin Fortier, que l’on peut voir à l’oeuvre dans l’émission Les Fermiers,  est derrière ce laboratoire expérimental à ciel ouvert depuis maintenant près de trois ans, mettant en œuvre la vision de l’homme d’affaires André Desmarais. Ce dernier avait un rêve : créer une ferme venant en aide à la communauté agricole grâce à un modèle productif, biologique et exportable.

Située sur une terre de 160 acres, la ferme de la Montérégie s’adonne à une gamme d’activités agricoles, soit la production maraîchère d’une quarantaine de légumes selon la méthode bio-intensive (système de culture permettant d’obtenir plus de rendement sur des petites surfaces), le pâturage animal en rotation (pour les bœufs et les poules), des îlots boisés pour les porcs, ainsi qu’un laboratoire ferme-cuisine pour la transformation et la création de produits à valeur ajoutée.

Le tout est rendu possible grâce à un design de ferme intelligent, d’outils adaptés et de la microbiologie des sols utilisés en union avec les processus naturels. Ces aspirations se sont réalisées à coups de gros moyens, d’idées sortant de la marge, d’effort, de sueur et de mains travaillant la terre.

Jean-Martin Fortier a notamment appliqué des techniques découvertes en voyageant et travaillant dans des fermes notamment au Nouveau-Mexique et à Cuba. Dans ces exploitations, les fermiers produisent beaucoup de légumes, sans pour autant utiliser de tracteur ni d’intrants, le tout sur une très petite surface. Il a suivi leurs traces en écrivant d’ailleurs le best-seller Le jardinier-maraîcher en 2012 pour expliquer ses méthodes.

Le projet à la Ferme des Quatre-Temps était une suite logique de cette mission de transmission de connaissances et d’éducation. Car en plus d’appliquer les concepts sur sa propre ferme, le fermier les enseigne à des agriculteurs venus d’ailleurs dans une optique de partage et d’ouverture. Résultat? La naissance d’un nouveau modèle d’affaires agricole à échelle plus humaine pouvant devenir une référence pour les fermiers souhaitant produire naturellement tout en gagnant bien leur vie.

« Dans notre imagination, raconte-t-il, on voulait former des gens pour qu’ils puissent par la suite démarrer leur propre ferme; faire en sorte que tous les systèmes, les opérations et les outils développés soient accessibles aux autres maraîchers de la communauté. Il y a de l’intérêt, car les personnes qui sont dans le milieu veulent réussir, s’améliorer et bénéficier de l’expertise de d’autres. »

Chasser le chimique
À ses dires, pour révolutionner l’agriculture au Québec il faut absolument parler d’écologie. Les pesticides et fongicides doivent être complètement bannis de notre vocabulaire et surtout de nos terres. M. Fortier compare les produits chimiques utilisés sur nos sols agraires avec la cigarette.

« Il y a quelques années, les gens n’étaient pas au courant que les pesticides étaient dangereux, même chose avec les gens qui fumaient. Les rivières sont polluées en raison de tous ces produits alors qu’il y a 50 ans on s’y baignait et les gens sont maintenant malades en raison de ce qu’ils mangent. Dans 20 ans on va sûrement trouver épouvantable le fait qu’on ingérait de tels produits chimiques. Est-ce qu’on peut enfin commencer à dire que le bio, c’est important? »

Nourricier et hyper productif : réalisable
L’un des gros obstacles à la productivité au Québec est le climat. La longue saison froide retarde l’arrivée des premières récoltes. C’est du moins ce que laisse croire l’agriculture conventionnelle. Toutefois, dans le modèle présenté à la Ferme des Quatre-temps, on réfléchit les saisons différemment et les méthodes sont adaptées en conséquence. Ainsi, à la ferme, on réussit à produire jusqu’à huit mois par année plutôt que de juillet à octobre comme bien des producteurs, permettant un approvisionnement quasi continu de produits frais.

« Au Québec on est chanceux, on a de la belle lumière. On n’est pas comme en Europe, en Belgique entre autres, où il pleut pendant trois mois. Même s’il fait froid quatre mois par année, on installe de grosses serres avec un bon volume d’air qu’on n’a même pas besoin de chauffer et on fait pousser des légumes. C’est dans une démarche de proximité et une grosse serre peut nourrir pas mal de monde. »

Scepticisme biologique
Alors que l’agriculture biologique est présentement subventionnée à hauteur de 3 millions, celle qui est traditionnelle l’est à 65 millions. Comment peut-on expliquer ça? Jean-Martin l’explique par le scepticisme des décideurs du milieu agricole en place. « Graduellement ils seront remplacés par des gens avant-gardistes qui sont beaucoup plus tournés vers le bio. »

 Le consommateur a la solution
Le fermier révolutionnaire est assez clair lorsqu’on lui demande de quel côté doit se faire les premiers pas pour véritablement initier une révolution alimentaire au Québec. Au final, c’est le consommateur qui a le dernier mot, car c’est lui qui a le pouvoir de dire aux fermiers ce qu’il veut retrouver dans son assiette. C’est lui qui décidera de manger en saison des aliments issus d’une agriculture qu’il connaît, indique M. Fortier. « Il faut se reconnecter avec ce qu’on mange. Quand le consommateur fait ce choix trois fois par jour, c’est fou l’impact qu’il peut avoir. »

Ainsi, pourquoi ne pas attendre l’été pour manger les fraises d’ici, en faisant une grosse provision qui pourra être congelée et consommée durant tout l’hiver? Et de faire la même chose pour tous les aliments d’ici? « La récolte de tous les aliments devrait être une célébration plutôt que d’être mécontent de ne pas les avoir à l’année. Il faut en profiter que ça passe. »

L’espoir qu’il porte envers l’avenir de l’agriculture au Québec est grand. « Ici ça va bien, les gens se réveillent et puis la révolution agricole va arriver quand les plus réfractaires vont embarquer. Pourquoi on n’est pas nationaliste au bout avec notre nourriture? Ça crée des emplois, les gens retournent en région, on ouvre des écoles… Je trouve qu’on  a quelque chose de beau collectivement et ça pourrait être ça notre prochain projet de société.»

Découvrez l’émission Les fermiers sur Unis TV diffusée tous les jeudis à 20h. À compter de vendredi 8 juin, tous les épisodes de la saison seront disponibles en rattrapage sur le web jusqu’au 1er septembre.