Pressés par les organisations écologistes, les supermarchés canadiens ont retiré de leurs comptoirs certaines espèces de la mer menacées. L’effort est louable, mais est-il suffisant ? Les avis sont partagés. | Par Aurore Lehmann
Encore méconnue il y a quelques années, la question de la disparition progressive de certaines espèces de poissons et de fruits de mer est aujourd’hui l’un des chevaux de bataille des organisations écologistes. Et pour cause, la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’agriculture, écrivait en 2009 que 19 % des ressources sont surexploitées et 8 % épuisées dans son rapport mondial sur la pêche. Sont particulièrement menacées au Canada, toujours selon la FAO, la morue, le saumon, le marsouin commun, la raie tachetée, le colin, l’aiglefin.
Dans le collimateur des ONG : les grandes surfaces d’alimentation. À elles seules, elles représentent 63 % de la consommation des produits de la mer au Canada. Il y a près de dix ans, Greenpeace Canada tirait la sonnette d’alarme et publiait, dans son rapport Épuisé, une liste rouge des espèces menacées ou menaçantes de par leur méthode de pêche. Accablant, le rapport épinglait les supermarchés canadiens, qui « achètent des poissons et des fruits de mer en prenant peu en considération l’état des espèces qu’ils vendent, l’endroit où ils ont été pêchés ou élevés, la méthode employée, etc. »
19 % des ressources de la mer sont surexploitées et 8 % épuisées. Mais une espèce peut être menacée dans un secteur, ne l’est pas nécessairement dans un autre »
L’industrie réagit
Greenpeace est revenu à la charge en publiant cette fois un palmarès sur les pratiques au sein des grandes chaînes de distribution canadiennes. L’organisme leur attribuait des notes catastrophiques. Le coup de semonce était tel que certaines bannières se sont réajustées. Premiers à prendre des mesures à la suite à de nombreuses pressions exercées par les militants de l’organisation écologiste : les supermarchés Loblaw. L’entreprise s’engageait alors à ne s’approvisionner, dès 2013, qu’à partir de sources durables, et retirait de ses tablettes cinq espèces figurant sur la liste rouge, parmi lesquelles le requin, le bar du Chili et la raie.
Par après c’est Wallmart qui a pris les devants, juste avant la publication du 2e palmarès. La chaîne a annoncé avoir adopté une politique sur les produits de la mer issus de pratiques de pêche durables. Elle a été suivie de près par Sobeys / IGA, qui a retiré de ses magasins quatre espèces de poissons, soit le requin, le thon rouge, la raie et l’hoplostète orange. Enfin l’équipe de Metro s’est engagée à ne plus servir à ses clients que des produits de la mer (frais ou surgelés) issus de la pêche durable. « C’est un bon premier pas, particulièrement le fait de s’engager à privilégier les pêcheries artisanales et locales », dit Beth Hunter, de Greenpeace Canada. Elle souligne toutefois le manque de clarté de la nouvelle politique : « Il faudrait que l’étiquetage mentionne l’origine exacte du poisson. »
À qui se fier ?
Il faut dire qu’il existe un contentieux sur les espèces qui mériteraient d’être retirées des comptoirs. La fameuse liste rouge de Greenpeace ne fait pas l’unanimité. Certains épiciers la jugeant trop générale. « Une espèce peut être menacée dans un secteur, mais pas dans un autre », explique Anne-Hélène Lavoie, conseillère principale de Sobeys Québec. Daniel Pauly, chercheur au Centre des pêches de l’Université de Colombie-Britannique à Vancouver et l’un des plus grands spécialistes mondiaux en matière de ressources marines, confirme : « Les espèces menacées varient d’un pays à l’autre. La morue, par exemple, se porte assez bien autour de l’Islande mais sa population dépérit vers la Nouvelle-Angleterre. On ne peut pas dresser une liste globale, il faut tenir compte des différences régionales. »
À ce titre, la certification est une avenue privilégiée. Le Marine Stewardship Council (MSC), organisme international indépendant, certifie la durabilité des ressources selon trois critères : la santé des stocks (leur capacité à se reproduire), l’impact nul sur l’écosytème et l’existence d’un plan de gestion pour assurer la durabilité de ces conditions. Mais là encore, la prudence est de mise : « Le oki de Nouvelle-Zélande, note Beth Hunter, est certifié par eux, tout comme certaines pêcheries de bar du Chili, deux espèces gravement menacées. » Comme on peut le constater, on est loin de l’unanimité.
En attendant de voir apparaître des normes qui feront un peu plus consensus, les consommateurs peuvent se réjouir de l’apparition de certains outils plus raffinés. Il est possible de jeter un coup d’œil au Canada’s Sea food Guide sur le site de la Fondation David Suzuki , qui répertorie chaque espèce de poisson, en donnant l’état de chacun d’eux selon l’avis de différents organismes. Aussi voit-on, par exemple, que le flétan de l’Atlantique est considéré par le guide des aliments de la mer WWF France comme une espèce menacée, tandis que le flétan du Pacifique, selon le même organisme, se porte à merveille.
Quant aux supermarchés, si les politiques qu’ils ont adoptées marquent le début d’une conscientisation, il reste du chemin à parcourir. « On ne se le cachera pas. Les espèces que nous avons retirées des comptoirs ne sont pas forcément très vendues, admet Anne-Hélène Lavoie. Quand on a 200 magasins, dit-elle, il faut s’assurer de prendre la bonne décision. » Selon Beth Hunter, la prochaine étape mettra donc les supermarchés face à des décisions de plus en plus difficiles, puisqu’il s’agira de mettre au banc des magasins de gros vendeurs, comme le saumon d’élevage ou la crevette.
Comment consommer écologique – Privilégier les crustacés d’élevage : « C’est bien souvent une question de méthode de pêche, note Beth Hunter. Les pétoncles sont souvent dragués par des chalutiers, méthode dangereuse pour l’environnement. On se dirigera donc vers les pétoncles amassés manuellement. » – Opter pour des produits issus de pêche plus sélective, comme les crevettes de Colombie-Britannique, prises au casler ou l’espadon pêché au harpon. – Consommer des poissons végétariens : « L’élevage pose le problème de la moulée, qui nécessite de grandes quantités de poissons sauvages, explique Beth Hunter. Nous suggérons donc de consommer le tilapia élevé en Amérique du Nord, parce que son impact sur les autres espèces est minime. » – Manger des poissons situés plus bas dans la chaîne alimentaire (palourdes, sardines, huîtres, anchois). Cela laissera le temps aux stocks de plus gros poissons, qui eux se nourrissent d’autres poissons, de se rétablir.