Temps des sucres oblige, mais aussi avec la Journée internationale des femmes qui a lieu ce week-end, LE must a décidé de vous présenter le portrait de trois femmes vouées à l’acériculture. Propre à l’identité québécoise, l’industrie acéricole a beaucoup évolué au cours des dernières années. Autrefois presque strictement masculin, le domaine de l’acériculture attise aujourd’hui la curiosité de nombreuses femmes qui choisissent d’en faire leur métier. En effet, aujourd’hui, ce sont plus de 2 700 femmes peuvent afficher avec fierté le titre d’acéricultrice. Qu’elles soient productrices ou chercheuses, voici leur histoire.
Jo-Anne Beaucage : la passionnée
Jo-Anne Beaucage est une acéricultrice établie depuis près de 20 ans dans la région de Montcerf, à 160 kilomètres au nord de Gatineau. Elle le dit d’emblée. Elle se trouve privilégiée d’avoir une vie qui, jusqu’à maintenant, a été ponctuée de fabuleux coups de foudre personnels et professionnels.
De la trappe à l’érable
Au début des années 80, Jo-Anne Beaucage est étudiante en histoire à l’Université de Montréal. Fille d’une famille bourgeoise, elle fait la rencontre de Mario Bélisle, littéralement un homme des bois. Ils ne se quitteront jamais. Ils s’installent dans la Vallée-de-la-Gatineau pour y vivre de la trappe de loutres, de rats musqués, de renards et de lynx. Une vie toute en simplicité dans un territoire sauvage.
S’en suit un épisode d’une dizaine d’années à planter des arbres, d’abord dans l’Ouest canadien puis en Outaouais. Un travail dur, mais un peu plus payant. Arrivent les enfants, qui les emmèneront à chercher plus de stabilité. C’est là que l’érable entre dans leur vie. « Notre vie de trappeurs nous avait fait apprécier l’idée de tirer profit des ressources que nous offre la nature. L’érable, c’est un produit naturel, unique et emblématique issu du travail d’entreprises familiales pouvant traverser les générations et ainsi contribuer à maintenir une ruralité vivante. Ça nous parlait tellement que lorsque l’idée de s’y lancer nous est venue, nous avons foncé droit devant », raconte-t-elle.
De petit à grand succès
Un conseiller leur dit que pour faire vivre une famille, une érablière doit compter sur au moins 30 000 entailles. Comme tout est à apprendre et qu’il y a beaucoup à faire, ils débutent avec 15 000 entailles réparties sur 130 hectares de terres publiques, en location. La répartition des tâches est nette. Mario doit faire en sorte que l’eau d’érable se rende à la bouilleuse. Jo-Anne prend le relais, et transforme cette eau en précieux sirop, en assurant la gestion de la qualité et le respect du cahier des charges pour une production bio. « C’est un choix de mode de vie, dans lequel la famille et l’entreprise s’entremêlent. En tant qu’acéricultrice, cette conciliation était essentielle pour moi. Aussi, la production de sirop d’érable bio demande beaucoup de minutie et de rigueur. »
Aujourd’hui, avec 26 000 entailles, leur entreprise, la Sucrerie Beaubel, produit en moyenne 27 000 livres de sirop d’érable chaque année. Jo-Anne et Mario ont encore quelques années à donner, mais voient tranquillement la retraite poindre à l’horizon. « Nos deux grandes filles étudient dans des domaines fort différents, mais il n’est pas impossible que l’une d’elles souhaite prendre la relève, » conclut-elle.
Julie Barbeau : la scientifique
Julie Barbeau s’intéresse aux propriétés de l’érable et à ses bienfaits potentiels sur plusieurs enjeux de la santé, à son rôle dans la prévention et l’atténuation de certains risques de maladies comme des troubles métaboliques et inflammatoires, à sa capacité à combattre le problème de l’antibiorésistance, ou à la façon dont la chimie des saveurs peut servir à éduquer des chefs d’ici et d’ailleurs.
Mettre l’érable sur la carte
Chimiste alimentaire de formation, Julie occupe une place unique au sein des Producteurs et productrices acéricoles du Québec. Responsable de l’innovation et du développement des marchés, elle pilote tous les projets de recherche de l’organisation et contribue ainsi à consolider la position du Québec comme leader mondial de l’érable.
Aujourd’hui à la tête d’un réseau de chercheurs à travers le monde, Julie fut la première à occuper ce poste à son arrivée en 2005. « À cette époque, j’avais à évoluer dans un monde majoritairement masculin, où mes interventions et mes questions lors de présentations de certains résultats pouvaient déranger. De plus, pour des chercheurs québécois, l’érable n’avait pas vraiment de secret à révéler puisqu’on le connaissait depuis toujours et il faisait partie de notre ADN. »
Mais elle avait la confiance des producteurs d’érable, qui étaient conscients que l’avenir devait s’appuyer sur l’innovation. « Comme je joue un rôle central dans ce réseau de chercheurs, les interactions collaboratives avec eux les ont progressivement emmenés à me respecter. Ce n’est plus un enjeu aujourd’hui », indique celle qui a récemment reçu le Prix Lynn Reynolds décerné par l’International Maple Syrup Institute (IMSI). Ce prix reconnaît le leadership exceptionnel d’une personne qui a été active dans l’industrie internationale du sirop d’érable au cours des cinq dernières années.
L’érable, beaucoup plus que du bonbon
Ce qui fascine Julie Barbeau à propos de l’érable, ce sont les innombrables avenues qui s’ouvrent à l’horizon. « L’érable est un produit botanique qui a beaucoup plus de vertus qu’on ne le croyait autrefois. Il est une bonne source naturelle d’énergie pour ceux et celles qui pratiquent des sports d’endurance, il a un apport positif sur le métabolisme de notre corps et comporte une bonne centaine de composés bioactifs. »
C’est d’ailleurs sous l’égide de Julie Barbeau qu’on a découvert que l’érable contenait 67 polyphénols. Ceux-ci ont de nombreuses vertus dont celui de jouer un rôle d’antioxydants naturels, en particulier dans le cadre d’une alimentation équilibrée et de saines habitudes de vie. « Peu de gens le savent, mais il existe déjà dix brevets scientifiques reliés à l’érable », souligne la chimiste qui explique que la science derrière l’érable constitue donc une véritable locomotive pour faire connaître ce produit et l’aider à s’imposer ailleurs dans le monde. « L’utilisation de l’érable n’a pas de limites et s’applique dorénavant à des sphères autres que l’alimentation, dont le secteur cosmétique, la supplémentation alimentaire et, peut-être un jour, l’industrie pharmaceutique. »
Natacha Lagarde : coup de cœur sucré
Natacha Lagarde et son conjoint ne connaissaient rien à la production de sirop d’érable. Le jeune couple, à la recherche d’un projet de vie, était tout de même un peu séduit par l’idée de s’y lancer un jour.
Ils sont tombés sur une annonce d’une érablière à vendre et ont fixé un rendez-vous avec le courtier sur-le-champ. Se faire passer pour des acheteurs potentiels, voilà l’occasion d’obtenir réponse à leurs nombreuses interrogations. La visite se conclut de façon inattendue lorsque Natacha annonce : « Je crois bien que vous avez vos acheteurs devant vous! ».
Un enthousiasme freiné
C’est le 14 février 2010 qu’ils prennent possession d’une érablière de 4 200 arbres, près de Lac-Etchemin, Les Sucreries D.L. Un achat clés en main. Remplis d’enthousiasme et débordants d’énergie, ils sont déjà prêts à se lancer dans la production de sirop d’érable. Ils déchantent aussitôt en apprenant que pour cette saison, il est déjà trop tard.
Départ un peu difficile, mais vite compensé par l’exaltation associée à l’apprentissage de leur nouvelle vocation. « Nous avons appris tous les deux à faire toutes les facettes du métier, mais au quotidien. Il s’occupe de la forêt et moi, de la bouilleuse et de la mise en marché de nos produits », souligne Mme Lagarde.
Faire sa place dans un milieu d’hommes
Selon elle, il y a des avantages à être une femme en acériculture. « Les femmes, plus que les hommes, à mon avis, ont souvent le réflexe de chercher des manières de se simplifier la vie », dit-elle. « Il s’agit souvent d’un tremplin pour innover ».
En effet, Natacha n’a pas eu peur de prendre des risques. Alors qu’en 2013, on lui prédisait l’échec de son projet de vendre ses produits en ligne, elle y fait de très bonnes affaires aujourd’hui. « Ça nous a coûté cher à mettre ça sur pied, mais pour moi, il n’était pas question d’attendre que tout le monde le fasse avant nous ».
Elle a bien eu ses rencontres avec les préjugés de certains fournisseurs, pour qui une femme en acériculture était d’abord et avant tout « la conjointe de l’acériculteur ». « On me demandait à parler au boss. Je leur répondais qu’ils l’avaient devant eux et que si ça ne faisait pas leur affaire, on ne ferait pas affaire ensemble ».
Elle partage aussi son temps entre d’autres rôles, comme celui de présidente des agricultrices de sa région et de conférencière dans les écoles. La jeune introvertie qu’elle était s’est transformée en une fonceuse verbomotrice et expressive. Lauréate au Gala Jeunes Entrepreneurs Banque Nationale en 2018, elle entrevoit l’avenir avec confiance. « Nous sommes des producteurs de bonheur sucré », dit l’acéricultrice qui célèbrera 10 ans d’acériculture au printemps 2020. « Peut-il y avoir un plus beau métier? »
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Connaissez-vous Sylvie Trepanier ? Sinon…vous devriez …assistante sucrier remarquable .
Bonjour,
Merci, nous allons la découvrir !