Première marque de bière à voir le jour en Amérique du Nord et deuxième plus ancienne entreprise au Canada, Molson est assurément le symbole emblématique le plus fort du patrimoine brassicole québécois et canadien. Fondée par John Molson en 1786, la brasserie montréalaise joue aujourd’hui dans la cour des plus grands brasseurs internationaux. Gros plan sur plus de deux siècles d’effervescence et d’histoire. | Par Thérèse Garceau
Né en Angleterre le 28 décembre 1763, John Molson débarque à Montréal en juin 1782. Déterminé à y faire des affaires, il se lance d’abord dans le commerce de la viande et de l’import-export. Il fait aussi la connaissance de Thomas Loyd, propriétaire d’une petite brasserie en bois, située sur le bord du fleuve Saint-Laurent. Au même moment, le prix du vin, du porto et du rhum monte en flèche tandis que les immigrants anglais et irlandais amateurs de bonne bière ont le gosier sec.
John Molson comprend alors tout le potentiel du marché de la bière dans sa nouvelle terre d’accueil. En octobre 1782, Thomas Loyd réussit à brasser une cinquantaine de fûts de bière. Devant ce succès, John Molson saisit l’occasion et signe un partenariat avec Thomas Loyd en janvier 1783. L’année suivante l’association entre les deux hommes d’affaires est dissoute. Le 5 janvier 1785, deux semaines après son 21e anniversaire, John devient l’unique propriétaire de la brasserie.
Il retourne en Angleterre vendre ses biens pour pouvoir investir dans la brasserie de Montréal. Il en revient avec du houblon, de l’orge, de l’équipement ainsi qu’un ouvrage sur l’art du brassage de la bière. En juin 1786, John embauche son premier employé pour l’aider à réaliser le tout premier brassin Molson, moment qu’il décrit alors comme « ses débuts sur la grande scène du monde ». Il livre sa première production six semaines plus tard. (Exergue 1*: 5 cents Le prix de la première bière Molson en 1786.)
Un an plus tard, John transforme la brasserie de bois en bâtiment de pierre. La même année, sa conjointe, Sarah Insley Vaughan, donne naissance à leur premier fils, John Molson Jr. Il sera suivi de Thomas en 1791 et de William en 1793. Le couple se marie en avril 1801. (Exergue no 2**: 1801 Début de l’utilisation de la bouteille de verre chez Molson.) Les affaires tournent rondement pour John Molson qui continue d’investir dans le développement technologique de la brasserie et dans la modernisation de son mode de distribution. L’année 1803 marque notamment le début de la livraison de la bière Molson sur attelage de chevaux.
Brasser des affaires
Flaireur de bonnes affaires, John Molson se passionne aussi pour le transport et la technologie. En 1809, le brasseur met à l’eau l’Accommodation, le tout premier bateau à vapeur destiné au transport de la bière et des passagers entre Montréal et Québec. La famille Molson possédera jusqu’à 36 bateaux à vapeur qui sillonneront le Saint-Laurent, de Québec jusqu’à Kingston, à l’embouchure du lac Ontario. Il s’agit alors de la plus grande flotte en Amérique du Nord.
Même si l’industrie brassicole demeure l’activité la plus rentable pour Molson, la compagnie poursuit la diversification de ses investissements dans d’autres secteurs. Elle s’implique aussi bien dans la construction du premier chemin de fer au Canada que dans celle de l’Hôpital Général de Montréal et du Théâtre Royal. L’investisseur fonde aussi sa propre institution financière en 1853; la Banque Molson a exploité jusqu’à 125 succursales au Québec et en Ontario avant de fusionner avec la Banque de Montréal en 1925.
La relève familiale
En décembre 1816, l’entreprise familiale est officiellement fondée alors que John Molson s’associe avec ses trois fils John, Thomas et William. L’arrivée de cette relève entrepreneuriale donne naissance à la John Molson and Sons, première d’une longue liste de sociétés créées par la famille Molson. Ainsi dégagé de la gestion de ses entreprises, John Molson se consacre à la politique. Il sera d’ailleurs élu à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada pour représenter la circonscription de Montréal-Est et y siégera jusqu’en 1820. Douze ans plus tard, toujours impliqué dans les affaires politiques, John Molson est nommé au conseil législatif, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en janvier 1836.
Le siècle de l’expansion
La brasserie montréalaise fait son entrée dans le 20e siècle sous le signe de la modernité. L’arrivée de l’éclairage électrique et particulièrement l’installation d’un système de réfrigération permettent à l’entreprise de brasser toute l’année. Molson pave ainsi la voie à la croissance de son portefeuille de marques et lance, en 1903, l’emblématique Molson Export.
En 1945, Molson entre en Bourse et devient une compagnie publique. La progression de l’entreprise, qui a vu passer sa production de 1 à 25 millions de gallons en un demi-siècle, se poursuit. En 1955, Molson inaugure une nouvelle brasserie à Toronto. Deux ans plus tard, Tom et Hartland Molson, qui dirigent la brasserie Molson ces années-là, deviennent propriétaires du Forum de Montréal et du club de hockey Les Canadiens de Montréal. Cette acquisition marque le début d’une longue et glorieuse collaboration avec l’équipe de la Sainte-Flanelle.
À la même époque, pour accroître ses parts de marché d’un océan à l’autre et réduire ses coûts de production, Molson se met en mode acquisition. Elle met d’abord la main sur six brasseries de l’Ouest canadien et en acquiert une septième à Terre-Neuve. En 1989, la brasserie Molson marque un grand coup avec l’achat de Carling O’Keefe. Elle devient alors la plus grande brasserie du Canada et la cinquième en importance en Amérique du Nord.
En 2005, dans un contexte de mondialisation, Molson fusionne avec Coors, une brasserie familiale fondée en 1873, et devient le cinquième plus grand brasseur au monde. Comme l’explique Patrick D’Anjou, actuel vice-président des ventes pour Molson Coors Brewing Company au Québec, les deux entreprises familiales étaient alors à un point tournant de leur histoire. « Est-ce qu’on devient un joueur mondial par nos valeurs et notre travail commun ou on devient un joueur mondial en se faisant acquérir? La décision a été de devenir un joueur mondial en restant nous-mêmes. »
Un marché en mutation
En 2016, l’industrie brassicole évolue dans un marché où elle doit désormais rivaliser avec d’autres produits, souligne François Lefebvre, directeur des affaires corporatives du Québec et de l’Atlantique de Molson Coors. « Les vins et les spiritueux sont nos concurrents les plus directs. » Actuellement nez-à-nez avec l’industrie du vin, la bière occupe 43 % des parts de marché au Québec, selon François Lefebvre. L’objectif est donc de ramener les gens à la bière, un défi qui passe bien entendu par l’innovation et la recherche.
Sept générations plus tard, bien ancrée dans les valeurs familiales, la Molson Coors Brewing Company, qui compte au sein de son conseil d’administration Andrew et Geoff Molson, demeure fidèle à la volonté de John Molson de s’impliquer dans la communauté locale, de contribuer à l’épanouissement de ses employés et d’investir dans l’économie, les œuvres caritatives et la vie sociale, culturelle et sportive. « Oui, on vend de la bière et oui, le profit est important, mais on veut aussi redonner à la communauté. Nous sommes devenus un joueur mondial, mais nous restons toujours aussi présents et impliqués localement », conclut Patrick D’Anjou.