Manger est un acte chargé de sens et d’émotions qui est souvent lié à des événements qui n’ont rien à voir avec le besoin de se nourrir. Et surtout, c’est un geste qui peut servir à séduire et à conduire l’autre… dans son lit! | Par Charline-Ève Pilon
On a qu’à penser au premier rendez-vous galant qui se fait autour d’un repas ou à ce café accompagné d’une brioche qu’on déguste en bonne compagnie. C’est un fait : la bouffe est rassembleuse et elle peut aussi servir de prétexte pour se rapprocher de quelqu’un. Ne dit-on pas que la cuisine peut mener à tout?
Le cinéma et la télévision ont plus d’une fois exploité cette idée. Qui ne connaît pas cette célèbre scène sulfureuse du frigo dans le film Neuf semaines 1/2, où les amants incarnés par Mickey Rourke et Kim Basinger jouent avec des aliments de façon très érotique? Ou cette chocolatière qui séduit un gitan en lui faisant goûter sensuellement ses délicieuses confiseries dans le film Chocolat? Et de quoi placotent les quatre amies dans Sex and the City autour d’un bon repas? Et Ally McBeal en sirotant son café? De sexe, bien sûr!
Je t’aime comme je mange
« Lorsque nous aimons quelqu’un, nous aimons manger, boire et parler avec lui », a dit la psychanalyste Gisèle Harus-Révidi, auteure de Psychanalyse de la gourmandise. Cette idée est partagée par la sexologue et blogueuse Jocelyne Robert, qui a signé le texte À table, au lit : flagrants délices.
Pour Mme Robert, le lien entre l’alimentation et les relations est incontestable. « Le désir engendre le désir, explique celle qui a écrit plusieurs livres, dont Le sexe en mal d’amour. Les humains sont des êtres de désir : le désir de se rapprocher, le désir de la bonne bouffe, le désir de partager… Tout en vient à la notion de plaisir. »
Elle ajoute que notre manière de goûter et de cuisiner est très révélatrice de notre comportement dans l’intimité. « Celui qui se goinfre à table fera de même au lit; celle qui grignote dans son assiette chipotera son homme.»
L’Histoire, du début à la faim
L’acte alimentaire et la notion de relation cohabitent depuis les origines de l’humanité. Déjà, à l’Antiquité, ce concept était l’un des éléments centraux de l’organisation sociale. Les hommes à la chasse devaient partager la proie et quiconque ne suivait pas ces règles se mettait en marge du groupe.
Dès le Moyen Âge, bien se nourrir était réservé aux riches. Certains aliments comme les volailles étaient indispensables aux gens du pouvoir tandis qu’ils étaient interdits au reste de la population puisqu’ils risquaient de les faire « tomber dans la luxure ». L’opulence était une forme de distinction sociale et les festins étaient pléthoriques.
Au temps des Romains, l’alimentation était directement liée à l’acte sexuel. Nourriture et copulation se côtoyaient sans les moindres scrupules à l’occasion de banquets orgiaques, une situation que l’Église réprouva, au XIIIe siècle, après avoir été influencée par Thomas d’Aquin et sa Somme théologique. Dans cet ouvrage, la gourmandise et le plaisir sexuel recherché étaient perçus comme des péchés, voire des vices.
Au 19e siècle, Sigmund Freud voulait prouver qu’à un stade déjà primaire de notre développement, manger et éprouver un plaisir de type sexuel n’étaient pas dissociés. « Lorsqu’on voit un enfant rassasié quitter le sein en se laissant choir en arrière et s’endormir, les joues rouges, avec un sourire bienheureux, on ne peut manquer de se dire que cette image reste le prototype de l’expression de la satisfaction sexuelle dans l’existence ultérieure. »
Dans les années 50, c’était la femme au foyer qui incarnait cette idée que la cuisine avait un rapport étroit avec les relations. Être bonne cuisinière à cette époque était un gage de fidélité. Les années 2000 ont été marquées par la gastrosexualité, soit l’art de marier la bouffe et le sexe. Ce qualificatif a été donné a priori aux hommes qui ont révélé de plus en plus leur intérêt pour la ripaille. L’apparition de nouveaux chefs à l’allure sexy au petit écran a certainement contribué à ce phénomène.
Nourrir ses relations
Manger est une expérience de plaisir régulièrement renouvelée. Partager un repas avec quelqu’un ne signifie donc pas simplement se remplir l’estomac, mais aussi la reconnaissance et l’acceptation mutuelles de liens que l’on tisse ou réaffirme. « Partager le pain », c’est aussi se lier à quelqu’un. La Bible utilise d’ailleurs cette image dans la Cène lorsque les apôtres reçoivent le pain que le Christ vient de couper.
Des mots de table, des petits mots au lit
« En avoir plein la bouche »
« Être tout miel »
« Avoir sa part du gâteau »
« Alimenter la conversation »
« Vivre d’amour et d’eau fraîche »
« Dévorer des yeux »
« Mignonne à croquer »
« Mordre dans la vie à pleines dents »
« Avoir l’eau à la bouche »
« Manger tout rond »