Qui n’a pas expérimenté la surprise de goûter à un mets qui, sans avertissement, se révèle piquant ? Dès la première bouchée, le plat partage ses saveurs et ses arômes, qui laissent tranquillement – ou subitement – leur place à la sensation de chaleur causée par le piment. Certains adorent alors que d’autres n’aiment pas du tout. Chose certaine, leur chaleur est la bienvenue pendant les temps frais. | Par Erik Ayala Bribiesca
Cette sensation entremêlée de chaleur et de douleur, la sensation du « piquant », a son origine dans les capsaïcinoïdes : les molécules du piquant. Celles-ci sont des molécules qui ont la particularité de traverser les couches externes de la peau pour pénétrer dans la région où les récepteurs trigéminaux se retrouvent. Ces récepteurs de la douleur envoient un signal au cerveau pour qu’il réagisse.
Ce qui est intéressant, c’est que les capsaïcinoïdes déclenchent spécifiquement les récepteurs responsables d’aviser le cerveau de la douleur associée aux températures élevées. La série de réactions activée est identique à celle causée par une température douloureuse (imaginez de l’eau chaude du robinet que vous ne tolérez que pendant quelques secondes), mais sans les dommages de ladite brûlure, évidemment! Voilà pourquoi on décrit la sensation du piquant comme une sensation de chaleur ou de brûlure. Mais la perception du piquant ne s’arrête pas là. L’organisme répond comme s’il s’agissait d’une vraie brûlure, déclenchant la transpiration (pour nous refroidir), la dilatation des vaisseaux (cela explique pourquoi on rougit) et la douleur (pour nous sauver de la brûlure).
Si la capsaïcine est responsable de cet attrait (ou dissuasif) des piments forts, elle n’est pas présente dans tous les fruits du genre Capsicum (genre des piments). D’ailleurs, les poivrons ne produisent pas de capsaïcinoïdes, et par ce fait, sont dépourvus du caractère piquant. Alors, qu’est-ce qui détermine le niveau de piquant ?
La réponse est simple : c’est la concentration de capsaïcine présente dans chaque piment. De façon formelle, la puissance ou force d’un piment s’exprime en unités Scoville, définies comme le nombre de grammes d’eau dans laquelle il faudrait diluer un gramme de piment pour atteindre le « seuil » du piquant, soit le niveau où la sensation est à peine perceptible. De cette façon, plus la valeur Scoville est élevée, plus le piment est piquant. En théorie, la valeur maximale de l’échelle se situerait aux alentours de 1 600 000 unités Scoville, ce qui est la valeur de la capsaïcine pure. Dans le commerce, d’autres échelles simplifiées ont vu le jour et les piments sont souvent classés sur une échelle arbitraire de 1 à 10.
Quelques idées préconçues sur les piments forts
Les graines sont la partie la plus piquante d’un piment fort.
Faux. La capsaïcine est presque exclusivement contenue dans les membranes blanchâtres des piments. Étant donné que les graines sont attachées à ces membranes, elles deviennent piquantes par contact direct avec celles-ci, mais à la base, il n’y a pas de capsaïcine dans les graines. Disséquez soigneusement un piment en coupant et séparant les graines, la chair et les membranes, goûtez séparément et vous verrez !
Un piment rouge est plus piquant qu’un piment vert.
Faux. La couleur n’a aucune incidence sur la quantité de capsaïcine d’un piment, car celle-ci est produite en totalité avant que le fruit commence à changer de couleur. De la même façon, la capsaïcine ne se dégrade pas lors de la maturation du fruit, alors, méfiez-vous, un piment vert peut être aussi traître que son frère rouge à pleine maturité.
Boire du lait arrête la sensation du piquant.
Vrai… et faux ! Si le lait (ou produit laitier) est pris en même temps que le piment, le gras et les protéines naturellement présents dans le lait aideront à limiter la sensation, car ils empêcheront une partie de la capsaïcine d’atteindre son site d’action. Cependant, puisque les récepteurs trigéminaux se retrouvent sous la surface de la peau, une fois que la capsaïcine les atteint, il est trop tard. Néanmoins, boire un liquide froid et même mâcher du pain peut enlever la capsaïcine qui n’aura pas encore atteint la peau et créera d’autres stimuli qui satureront les messages envoyés au cerveau. Ils le distrairont, de façon à apaiser la sensation de brûlure. Par contre, cet effet est simplement une distraction.
Le piquant endommage les papilles et mène à la perte des capacités à goûter les aliments.
Faux. On peut manger un piment ou un mets très piquant et avoir l’impression qu’on ne s’en remettra jamais lorsque la sensation piquante dépasse notre seuil de confort, mais cela n’est pas le cas. Qu’on ne puisse pas surmonter le piquant pour apprécier les saveurs d’un plat ne veut pas dire qu’on perd notre capacité à goûter ou qu’on endommage nos papilles ou l’odorat. Bien sûr, manger du piquant ajoute des sensations, qui se mêlent avec les autres sensations pour avoir un tout. Si le piquant prend le dessus, on peut avoir plus de difficulté à détecter les nuances des autres ingrédients, au même titre qu’un mets trop salé nous empêche de goûter les autres composants.
Qu’ils soient placés haut dans l’échelle Scoville pour nous faire suer ou au bas pour les manger comme légumes « tout nus », les piments sont sortis d’Amérique pour faire le tour de la planète. Certains peuples les ont adoptés et incorporés dans leurs cuisines, tandis que d’autres, comme les Nord-Américains, les ont importés comme curiosité à partir de ces cultures. Une chose est certaine, la sensation de piquant est un plaisir qui se développe et une fois le commensal habitué, le piment devient une façon d’allumer des nouvelles sensations lors des repas.