Je m’installais dans le sommeil lors d’une nuit de pleine lune en quête de rêves et souhaitais retracer dans ma mémoire quelques-uns de mes Noëls passés, cette nostalgie des fêtes, loin de ma famille, de mes proches, seul contre tous.
Premier rêve : Noël africain
J’étais en Afrique et plus précisément en Côte d’Ivoire. L’air ambiant était à 30 degrés et chargé d’humidité. Nous étions le 20 décembre et il régnait un semblant de temps des fêtes avec les vendeurs ambulants qui nous interpellaient à chacun des arrêts. Des guirlandes sans grand intérêt, des imitations de poupées Barbie ou de faux sapins déplumés faisaient petit à petit leur apparition à chacun des carrefours. Il faut dire que dans un pays aux trois quarts musulman, Noël est plus commercial que catholique.
Néanmoins, là-bas, toute occasion est bonne pour fêter et festoyer, donc le Noël des toubabous (le nôtre, celui des Blancs) est un prétexte pour prendre congé et manger. La cuisine ivoirienne est une cuisine simple, constituée de manioc, de poulet, de légumes, de riz et d’agouti. Ce dernier est un rongeur, un ragondin que l’on cuisine en mijoté bien cuit. Le mouton fait aussi partie de cette tradition tout comme le mérou, ce poisson qui peut atteindre 20 kilos.
Pour moi, ce n’était pas Noël. Il manquait à la fête cette chaleur venue du froid. J’avais cette nostalgie que tout expatrié vit à Noël loin des siens et à trente degrés à l’ombre. Je souhaitais que mon rêve avance, ce qui arriva et me projeta dans le Pacifique où un courant d’alizé me murmura à l’oreille que Tahiti m’attendait.
Deuxième rêve : Tahiti la perle
Mes pensées troublées se dirigeaient vers ce lieu magique où j’avais séjourné durant sept merveilleuses années. La limpidité du lagon m’attirait tout comme la préparation du himaa (four tahitien) que les papis et mamies animaient. Les ukuleles me transportaient dans une autre vie et j’imaginais le paradis : Noël sous les tropiques, sans sapins couverts de neige, sans guirlandes extérieures, mais surtout en t-shirt et gougounes.
On avait depuis le 23 décembre mobilisé toute la famille Teruia. Tout y était : le petit cochon, les langoustes pêchées par le frère de Vaimati, les fruits de l’arbre à pain et la bière Hinano. Les mamies s’affairaient à la préparation du poisson cru à la tahitienne. Pas question de party sans poisson cru au lait de coco, sans poulet au fafa et sans le poe à la mangue qui agit à titre de dessert. En tant qu’invité, j’avais apporté une immense bûche de Noël au chocolat fabriquée chez l’unique pâtissier de Papeete qui m’avait trouvé super cool.
C’était un premier Noël sous les palmiers avec les chants et les himénés des Tahitiens endimanchés, les femmes aux jolis chapeaux de paille tressés et les enfants qui espéraient que le père Noël n’était pas juste une histoire de popaa.
Cette fois, mon Noël me réjouissait; les chants, la gentillesse des gens et le maa Tahiti (repas de fête polynésien) m’avaient conquis. Tahiti était bien là et la magie qui l’entoure aussi. C’était mon premier Noël au paradis!
Troisième rêve : Noël chez ma mère
La nuit pâlissait et je ne voulais pas que le dernier rêve s’achève. Il me fallait encore faire cet effort pour retourner en arrière et imaginer mes Noëls d’enfant.
Le jour du 24 décembre arrivait. Avec toute l’excitation propre à la circonstance, la croyance au père Noël qui semblait s’essouffler avec l’âge, mais à laquelle je ne voulais me soustraire, m’interpellait. Le feu crépitait comme toujours. Ma mère, bien coiffée du matin, s’attardait avant la messe de minuit à évaluer sa crèche, puis les dernières finitions sur la table en installant les branches de sapin teintées de brillance, et finalement, les belles assiettes annonciatrices de boudin blanc truffé, de dinde aux marrons et de bûche de Noël.
Après la messe de minuit, puis le repas de Noël, malgré la fatigue d’une journée bien remplie, il nous était impossible de nous endormir, épuisés mais dans l’attente de quelques bruits qui auraient permis de confirmer la présence du père Noël. Nous prenions soin d’éteindre les braises de la cheminée, d’apporter des biscuits et un verre de lait, mais surtout d’astiquer nos chaussures dans l’espoir de cadeaux. La nuit devenait courte et dès le petit matin, nos chaussures avaient disparu sous des piles de cadeaux, c’était vraiment Noël.
Mon rêve s’arrêta abruptement, mes Noëls envolés devant le retour au réel. J’étais au Québec. Il me fallait cette fois préparer mon Noël, avec la neige, le sapin baumier, le feu de foyer, les chansons de toujours et les guirlandes de couleurs. La tourtière se bataillait avec le foie gras, les huîtres fines de Raspberry Point avec les gâteaux de crabe. Tout serait fin prêt; cette fois encore la magie s’effectuerait, mais hélas, je ne croyais plus au père Noël!
Joyeuses Fêtes!
Philippe Mollé