Le chef a mille et un projets et il n’est pas prêt de s’arrêter. Il a dorénavant plusieurs établissements et comme les enfants d’une même famille, chaque adresse a une personnalité et une vocation uniques. Rencontre avec un chef pour qui cuisiner, c’est véritablement aimer. | Par Josée Larivée
Originaire du Sud de la France, naturalisé Canadien il y a deux ans, Jérôme a appris à la dure que dans la vie, il faut sans cesse aller de l’avant. Son histoire est digne des scénarios de films américains où à chaque tournant une embûche l’attend. Toujours, il fait face : presque faillite, émigration, escroquerie, pauvreté, maladie, deuil. Il y a peu de malheurs auxquels l’homme n’a pas goûté. D’une modestie déconcertante, Jérôme Ferrer est pourtant de la trempe des héros tranquilles.
En 2012, le Groupe Europea comptait sept adresses, toutes gérées par le maître d’œuvre et ses deux comparses de toujours, Ludovic Delonca et Patrice De Felice. « On gère ensemble les succès, mais depuis toujours, on accuse ensemble les coups bas », insiste l’homme de cœur.
Comme des frères
Le trio se rencontre à Nîmes en 1989. Peu après leur sortie de l’école hôtelière, ils opèrent pendant cinq ans Le Panoramique, un restaurant gastronomique sis dans une station balnéaire, référencé dans les guides touristiques. À 22 et 23 ans, ils figurent parmi les plus jeunes restaurateurs du Sud de la France. « Trop jeunes, sans doute », dira aujourd’hui Jérôme. En location de gérance, les trois compagnons considéraient n’avoir rien à perdre. C’était un peu faux.
« On mangeait en hiver le profit qu’on faisait en été, se rappelle le chef. On était en constant état de survivance, passant de la fatigue physique, en été, à la fatigue morale, en hiver. On devait réagir. »
Cette année-là, les trois décident de partir pour une ultime semaine de vacances au Québec, en compagnie de leur amoureuse. Une semaine plus tard, dans l’avion qui les ramène en France, ils font un constat commun : « Montréal nous avait tous pris par les tripes. Il y avait ici une fibre particulière : une mégapole nord-américaine rendue accessible. La gentillesse pure des gens nous avait touchés. On n’avait qu’une envie : venir s’y installer ! »
Montréal, nous voilà !
En fermant les livres du resto de la station balnéaire, ils réussissent à dégager 30 000 $. L’éternel trio compte sur cet argent pour ouvrir un restaurant. Ludovic, marié à la sœur de Jérôme, est déjà papa d’un bébé, et la bande loue un 6 1/2 qu’ils se partagent tous, à Ville-Émard. La suite tient d’une histoire d’horreur. Le notaire français ne s’occupe pas du dossier. Une fois émigrés au Québec, les restaurateurs voient leur rêve anéanti : le notaire n’a pas ouvert le cahier de charges requis par la loi, n’a pas payé à temps certains organismes fiscaux et l’accumulation des manquements mène à un inévitable constat : ils se sont fait rouler. Ils n’ont plus un sou.
Chacun prend un petit boulot, camelot ou trieur de cannettes dans un centre de récupération. « On n’avait pas le cœur à travailler en cuisine, avoue Jérôme. C’est un métier qui ne se pratique pas sans passion. Or, nous étions démolis. Mais jamais on a pensé à se séparer. Seul en affaires, tu es libre, certes, mais tu demeures seul. À trois, tu cours moins vite, mais tu vas plus loin. »
Espoir, espoir !
Dans leurs rares temps libres, les gars sillonnent quand même la ville – à pied – à la recherche d’un lieu abordable. Non, l’espoir et la passion ne meurent pas facilement. En face de l’Europea se dresse encore l’une des rares cabines téléphoniques ayant survécu à l’ère du cellulaire. « C’est de là qu’on a téléphoné quand on a vu la petite affiche », raconte Jérôme. La rue de la Montagne n’était pas une artère à la mode, comme maintenant, et les trois mousquetaires pouvaient s’y offrir les deux premiers mois de loyer.
Neuf ou dix tables, une enseigne de bois, du cœur au ventre et du talent, voilà de quoi ils étaient munis. « Le premier client qu’on a servi s’appelait monsieur Reynolds, et il a été le seul, ce midi-là. » Le trio en a vu, par la suite, des midis à un seul client ! « On mettait à peine de côté les 800 $ essentiels pour se loger et acheter le nécessaire pour le bébé. On fermait les lumières entre le lunch et le repas du soir, on marchait entre le resto et notre appartement de Ville-Émard, pour que ça coûte moins cher. » Bref, le scénario de la France se répétait. Mais la bande refusait de baisser les bras.
Le vent tourne
C’est la visite de l’animateur Francis Reddy, aiguillonné par sa voisine de chalet, qui change tout. L’animateur goûte non seulement l’excellence d’une cuisine fraîche, où le produit et l’artisan sont à l’honneur, mais est aussi touché par l’entraide entre Jérôme et Patrice, aux cuisines, et Ludovic, au service. Francis est touché, et il en parle. Patrick Marsolais met alors les lieux en vedette, à la défunte émission Flash, jadis à TQS. « Pour nous, ça a été le tournant d’une vie », avoue Jérôme Ferrer.
En 2004, les associés agrandissaient la superficie, juste avant d’occuper les trois planchers du building. Ils ont fini par ouvrir la Boutique Europea, où l’on peut se procurer des produits fins, puis le Beaver Hall, une brasserie traditionnelle française et finalement Andiamo, qui propose une cuisine méditerranéenne. En 2009, ils acceptaient l’offre de Birks et allait naître en septembre dernier le Birks Café.
Le succès dans l’adversité
Les affaires vont bon train et Jérôme et sa conjointe Virginie se tournent alors vers le projet « famille ». Virginie est déjà la maman d’un petit garçon et le couple tente la venue d’un autre enfant : fausse couche. Cinq mois plus tard, seconde fausse couche. Cette fois, les médecins se pointent à cinq dans la chambre d’hôpital. Virginie est atteinte d’un cancer virulent. Virginie ne survivra pas. « On s’est battus pendant plus d’un an. La maladie a eu raison d’elle. »
Après la mort de Virginie, plus rien n’a de sens. Jérôme cherche où aller, quoi faire, comment respirer. « Le Taj Mahal m’est apparu comme le seul endroit de pèlerinage qui pourrait m’apaiser. J’avais tellement de colère en moi que ma foi en était ébranlée. » Ce voyage en Inde s’avère entaché par la trahison d’un ami, mais Jérôme Ferrer ne baisse pas les bras. Plutôt, il apprend que c’est en soi qu’on trouve un sens à la vie. « J’ai compris que nous ne sommes que de passage. J’ai eu la chance de croiser la route de Virginie. Sa mort est inacceptable, mais je dois poursuivre avec ce bagage. »
BIRKS Café : la vie continue
C’est tristement sans sa Virginie adorée que Jérôme a coupé le cordon rouge. C’est Birks, une entreprise privée dont le conseil d’administration dirige 33 établissements, qui a approché l’équipe d’Europea pour ouvrir le magnifique café du centre-ville. La surprise n’a pas été totale, puisque Niccolo Rossi Di Montelera, vice-président de la division canadienne de Birks & Mayors, était déjà un client connu de Jérôme Ferrer.
L’idée d’un partenariat entre le trio de restaurateurs, une bijouterie souhaitant augmenter son achalandage et une vedette de la télé comme Francis Reddy, voilà trois éléments qui allaient tout changer.
Ferrer n’est pas peu fier de ce projet. Mais quand le projet gastronomique implique le cœur et le talent de Jérôme, le résultat ne sera jamais comme n’importe quel café de la rue Sainte-Catherine. Dorénavant, Jérôme poursuit ses rêves avec l’ouverture récente des nouveaux restaurants Jerry Ferrer à Montréal et Longueuil.
Très belle histoire… Bravo Mr de ne pas avoir baissé les bras…. un jour peut être. Je vous admire vraiment.