Notre façon de manger a beaucoup évolué depuis les débuts de l’humanité. Cette évolution s’est accélérée au cours des dernières décennies alors qu’une véritable révolution de l’alimentation est en train de prendre forme et ce, de la nourriture traditionnelle à la malbouffe. Que nous réserve l’avenir? | Par Charles Rivest
Prêts-à-manger, démocratisation de la fine cuisine, augmentation des protéines, boycott du gluten et du pain, explosion du secteur des produits transformés, … Les pratiques alimentaires des dernières années ont beaucoup bougé et se sont adaptées à notre mode de vie. La société n’a jamais été aussi individualiste, mais elle nous pousse à faire des choix collectifs, pour le bien être de la planète et de son futur, notamment en raison d’une progression démographique fulgurante.
Chasser, pêcher, cueillir
Un retour en arrière nous rappelle que depuis nos origines avec les singes, il y a près de 8 millions d’années, jusqu’à aujourd’hui dans une ère industrialisée et urbanisée, l’être humain s’est nourri de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Puis par la suite, il a ajouté l’élevage et l’agriculture. Les saisons ont alors modifié les comportements alimentaires et les besoins nutritionnels.
Depuis toujours, l’homme est omnivore. Ce type de régime a été priorisé en raison du contexte dans lequel il a toujours vécu, où il a été amené à entrer en relation avec les autres sans oublier les notions de plaisir et d’échanges qui ont toujours été centraux. Toutefois, dans des circonstances incertaines particulièrement durant les saisons sèches ou froides, le choix des aliments assurait tout d’abord la survie. Cela était possible grâce à l’acquisition de connaissances sur les ressources naturelles et leurs cycles, ainsi que les modes de conservation et la préparation des aliments.
L’assiette des Québécois
Au Québec, la façon de s’alimenter a été bercée par le climat ; les saisons, les conditions sociales et les tendances ont influencé ce que l’on retrouve sur nos tablettes. Au savoir-faire des Amérindiens se sont ajoutées une base gastronomique française, l’influence culinaire des Anglais et des multiples communautés culturelles, ce qui a permis à la cuisine du Québec de se forger une identité propre qui évolue depuis plusieurs siècles.
L’héritage culinaire du début du siècle dernier a spécialement été marqué par la nourriture qui devait assouvir l’appétit des défricheurs, cultivateurs et de leurs familles. La notion de gaspillage alimentaire n’existait pas puisque tout était récupéré en cuisine. La majorité des terres agricoles du Canada étaient exploitées par des familles nombreuses, favorisant leur autosuffisance. La conserve demeure une façon de garder des fruits et légumes saisonniers, à l’année. La guerre est survenue au milieu du siècle, et avec elle, le temps du rationnement. On limite le recours aux aliments importés et on réserve la majorité des vivres pour les militaires.
Dès 1970, d’importants changements font éclater le modèle de la famille traditionnelle, notamment avec l’entrée de la femme sur le marché du travail. De ce fait, le prêt-à-manger a commencé à faire sa place dans les foyers. À la même époque on découvre la cuisine allégée avec l’arrivée des succédanés. Vers la fin des années 80, on revient aux richesses du terroir. Toutefois, en raison de réseaux de distribution parfois déficients, les produits tarderont à arriver jusqu’aux consommateurs. Au début des années 1990, c’est l’ouverture des frontières, de nombreux produits exotiques, autrefois inaccessibles, ont facilement trouvé une place sur les étalages des supermarchés.
Parallèlement à ces évolutions, la distribution des aliments a migré du marché dit de proximité à la grande surface. On note que 70 % des dépenses alimentaires des ménages y sont maintenant concentrées. A la fin du XXe siècle, les plats préparés et les produits sur le pouce séduisent une grande partie de la population en répondant à un besoin de gain de praticité et de rapidité dans la préparation des repas.
L’explosion de l’offre alimentaire
Aujourd’hui, c’est l’ère où la cuisine monopolise l’espace. Jamais on n’a eu autant d’émissions et de livres de cuisine, donc de saveurs sur les tablettes. Les consommateurs sont dorénavant tiraillés entre des aliments sains, ce qui ne coûte pas trop cher et des produits transformés qu’ils pourront cuire rapidement. Mais aussi, il y a un désir de retourner en arrière, de découvrir la cuisine de nos grands-mères et de renouer avec la cuisine de proximité. On devient conscient de la richesse des produits que l’on retrouve sur le territoire. Le garde-manger n’a jamais été aussi rempli et diversifié. Seulement, tout cela a un prix. Les gens doivent maintenant faire des choix éclairés selon leurs priorités et leur portefeuille.
L’offre alimentaire a aussi subi une mutation vers une alimentation industrielle de masse avec les innovations technologiques et l’expansion de la grande distribution dans les circuits d’approvisionnement.
L’assiette du futur
De quoi sera composée l’assiette de l’avenir? D’insectes? De cachets contenant uniquement les vitamines et minéraux essentiels sans que l’on ait besoin d’absorber d’autres choses? Sera-t-elle cellulaire? Comment arrivera-t-on à se nourrir sans épuiser les ressources de la planète ? Plusieurs laboratoires, partout dans le monde veillent à trouver des alternatives. Ceux-ci sont financés par des technoptimistes, c’est-à-dire « des gens qui affichent une confiance énorme dans la capacité de la technologie de nous sauver de nous-mêmes », selon Gilonne d’Origny, directrice du développement pour l’organisme New Harvest qui finance ce genre de recherches.
On s’inquiète pour les 50 prochaines années. On se demande maintenant comment les ressources disponibles pourront répondre à une demande alimentaire grandissante qui se chiffrera autour de près de 10 milliards d’habitants. D’un discours jadis teinté des plaisirs de la table, il est dorénavant beaucoup plus engagé et engageant. Il semble que la seule voie possible pour assurer la pérennité alimentaire soit celle des régimes alimentaires durables. Un terme qui a été instauré en 2010 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et qui implique de considérer l’alimentation à travers ses différentes facettes : santé, économie, environnement et culture.
La FAO les définit comme «des régimes à faibles impacts environnementaux qui contribuent à la sécurité nutritionnelle et alimentaire et à une vie saine pour les générations présentes et futures. Les régimes durables sont protecteurs et respectueux de la biodiversité et des écosystèmes, culturellement acceptables, accessibles, économiquement équitables et abordables, nutritionnellement équilibrés, sains et sans risque sanitaire, tout en permettant d’optimiser les ressources naturelles et humaines.»
Le consommateur fait maintenant face à ses responsabilités de citoyen et il a des choix à faire entre son propre bien-être, le bien commun et l’environnement. Faut-il diminuer sa consommation de viande au profit des produits végétaux ? Privilégier le produit local au produit importé ? Le produit de saison au produit disponible toute l’année ? Le produit biologique au produit conventionnel ?
Pour l’instant, cette réalité demeure difficilement tangible, mais c’est un fait : il y a de moins en moins de sols cultivables disponibles et de plus en plus de gens qui cherchent des protéines de remplacement. Sans pouvoir dire de quoi sera composée notre assiette demain, il reste que le principe d’alimentation durable devra prévaloir.