Je suis à l’épicerie, comme à chaque semaine. Je choisis mes produits un peu sur le pilote automatique. Pommes, carottes, poulet, tomates en conserve, pâtes alimentaires, biscuits… À ce moment, ma fille de 7 ans s’exclame : « Je ne veux plus que tu achètes ces biscuits. Je fais rire de moi par toutes mes amies lorsqu’elles voient le sac rose de princesse ! » C’est ainsi que je prends conscience que les stéréotypes de genre se sont pernicieusement introduits jusque dans mon panier d’épicerie ! | Par Annie Turcotte
Si vous ne les aviez pas encore remarqués, maintenant vous les verrez partout ! Les produits alimentaires genrés, qui, par leur emballage, semblent avoir été conçus pour elle, ou pour lui, sont bel et bien présents dans nos allées de supermarché. Toutefois, on est tellement habitué à ce marketing de genre qu’on l’accepte bien souvent sans même se questionner. Et si cette pratique commerciale était nuisible à notre santé ? Regard sur les effets implicites de l’emballage alimentaire « sexospécifique ».
Le roi du gril
Selon des analyses sur le sujet, les aliments associés aux hommes sont généralement ceux en lien avec la cuisson sur le barbecue — notamment la viande —, l’alcool, le fast-food, les aliments gras ainsi que les produits hautement protéinés. Par des emballages très étudiés, les compagnies cherchent à charmer le côté viril, animal ou sportif de la gent masculine. « Je fais les courses autant que ma blonde et je réalise bien que tous les aliments au branding masculin contiennent soit énormément de protéines, soit rien de bon pour moi. C’est remarquable en épicerie, spécialement pendant les séries au hockey ou juste avant le Superbowl, où ils sont tous regroupés dans les bouts d’allées », raconte Sébastien qui avoue souvent tomber dans le piège.
La reine minceur
Les aliments destinés aux femmes, quant à eux, sont principalement faibles en gras, en sucres et en calories. Ceux-ci sont souvent présentés dans des emballages aux couleurs pastel ou encore au design qui inspire la légèreté, la douceur. On pense ici aux produits laitiers et à certaines céréales, notamment. « Les femmes ont une dépense énergétique plus faible que les hommes alors oui, elles font généralement davantage attention à leur poids. Elles sont à l’affût des produits minceur et les compagnies l’ont compris depuis longtemps et savent comment les cibler », précise Julie Turcotte, nutritionniste qui se spécialise auprès des athlètes. Julie Gélinas, directrice du marketing des Producteurs de lait du Québec, abonde dans le même sens. « Ce n’est pas un grand secret. Les offensives d’emballage ou de mise en marché sont fondées sur la recherche, explique-t-elle. Et la recherche montre encore aujourd’hui une plus grande concentration de femmes qui s’adonnent à l’épicerie et qui ont des préoccupations liées à la santé et aux produits minceur. »
Le côté sombre du marketing genré
Néanmoins, cette forme de marketing véhicule tout de même des stéréotypes qu’on aimerait voir disparaître, car celle-ci influence parfois de façon négative les habitudes alimentaires des gens. « Le packaging alimentaire genré encourage les hommes à consommer plus de bière et de gras que les femmes, croit la nutritionniste. J’enseigne dans le cadre d’un programme sport-études au secondaire et, lorsque j’ai demandé aux jeunes de prendre un égoportrait d’eux en train de cuisiner, quasiment tous les garçons se sont posés devant des pizzas pochettes, des croquettes ou encore des ailes de poulet. Je remarque, dans ma pratique, que les ados sont très ciblés par les produits prêts-à-manger. Et on n’a qu’à regarder les couleurs des emballages pour comprendre que ça vise surtout les garçons », poursuit celle qui est aussi mère de trois adolescents.
Est-ce une tendance quiva se maintenir ?
En ce sens, la docteure en nutrition Isabelle Huot prévoit une vague de changement. « Oui, les femmes sont plus sensibles à certains critères nutritionnels, explique-t-elle. Elles surveillent la quantité de sucre présente, le sodium et elles lisent davantage la liste d’ingrédients. Et oui, en général, les hommes sont moins préoccupés par la valeur nutritive de leurs choix alimentaires. Toutefois, on observe un virage, notamment chez les hommes, surtout les milléniaux. On sent de plus en plus d’intérêt pour la nutrition, voire le végétarisme chez les hommes. Je pense que les compagnies s’adaptent tranquillement en ce sens et qu’éventuellement les emballages ne s’adresseront plus aux femmes ou aux hommes, mais bien aux personnes soucieuses de leur santé. » Même son de cloche auprès des experts en marketing. « Les stéréotypes de genres sont de moins en moins vrais, ajoute Julie Gélinas. On va s’enligner sur des publicités ou des campagnes de plus en plus unisexes. »