La rentrée s’en vient et l’on commence à penser aux lunchs et aux soupers de semaine que l’on aura à concocter. Mais quand on s’y penche, le fait de faire provision existe depuis longtemps. Ainsi, le concept du garde-manger est intégré à la cuisine depuis plus d’un siècle. Saisons, conditions sociales, tendances et habitudes alimentaires ont influencé ce que l’on retrouve sur nos tablettes. Encore aujourd’hui, il est le reflet de notre alimentation et il s’adapte sans cesse à notre mode de vie. | Par Charline-Ève Pilon
Depuis toujours, les Québécois accordent une grande importance aux plaisirs de la table. Le savoir-faire des Amérindiens, une base gastronomique française et l’influence culinaire des Anglais et des multiples communautés culturelles ont permis à la cuisine du Québec de forger son identité culinaire. Le contenu du garde-manger a évolué en même temps que nos habitudes.
Des produits « made in world »
Il faut le dire: le garde-manger n’a jamais été aussi rempli et diversifié. La progression du niveau de vie et l’urbanisation ont transformé les goûts et harmonisé les pratiques nourricières. «On a maintenant le monde à notre table», raconte l’historien culinaire Michel Lambert et auteur de Histoire de la cuisine familiale du Québec. «Avec l’ouverture des frontières, on a accès à des produits qui proviennent des quatre coins de la planète rapidement, et ce, à coût abordable. On en a fait du chemin.» Jamais les aliments que nous consommons n’auront autant bourlingué.
Selon une étude américaine, le trajet moyen parcouru par un aliment, du champ à la table, est de 2400 km.
Tout pour se faciliter la vie
Avec l’arrivée des produits venus d’ailleurs, les habitudes alimentaires se sont aussi transformées. D’un côté, elles se sont raffinées avec la prolifération des marchés, proposant des fruits frais diversifiés etde nombreux ouvrages culinaires suggérant une abondance de nouvelles idées. De l’autre côté, c’est la culture du prêt-à manger qui a explosé.
En 2005, la consommation de préparations alimentaires précuites aurait augmenté de 700% en cinq ans au Québec, un phénomène qui a tendance à s’étendre partout en Amérique du Nord.
En raison de ce mode de vie où le temps devient une denrée rare, les consommateurs seront nombreux à mettre le tablier de côté et à opter pour un repas déjà préparé. Ceci dit, de plus en plus de personnes soucieuses de leur santé tentent de trouver le meilleur des deux mondes, soit quelque chose de rapide à faire, mais qui ne se fera pas au détriment de leur santé.
Les entreprises en alimentation l’ont compris et elles s’adaptent. Il est maintenant possible d’acheter des légumes surgelés parés pour la cuisson, des quartiers de pommes prêts à consommer et de la laitue lavée qu’il ne reste qu’à servirdans un bol. Bref, la recherche de commodité ainsi qu’une offre accrue d’options santé à des prix abordables ont favorisé la demande pour ces aliments rapides. En 2006, les consommateurs québécois ont dépensé 570 millions de dollars en aliments congelés «sur le pouce», ce qui correspond à une augmentation de 2,3 % par rapport à 2005.
En 2006, les consommateurs québécois ont dépensé 570 millions de dollars en aliments congelés «sur le pouce».
«Il y a une tendance qui se dessine dans les aliments tout faits», explique la nutritionniste Hélène Baribeau. «De plus en plus, il y a un souci d’offrir des aliments qui correspondent davantage au profil santé recherché.» La diététiste mentionne que bien des aliments à l’état naturel sont excellents pour la santé et demandent très peu de préparation : «Le quinoa par exemple se cuisine comme le riz, c’est très rapide à faire et c’est excellent sur le plan nutritionnel. »
Une histoire de denrées
On n’a qu’à retourner au siècle dernier pour se rendre compte du pas de géant qu’ont subi nos habitudes alimentaires. Il y a plus de cent ans, les repas consistants et nourrissants avaient la cote. Ce qui importait avant tout, c’était de «nourrir ses hommes» qui travaillaient fort physiquement.
1920 : Les citoyens de l’époque, alors marquées par la Première guerre mondiale et la crise économique, le gaspillage n’était pas une option dans les années 1920. On préparait des repas avec ce qu’on avait sous la main et on récupérait absolument tout en cuisine, du ris de l’animal par exemple, en passant par sa langue et sa cervelle. Lorsque les temps étaient durs, il n’était pas rare d’ajouter de l’eau à la soupe aux pois de façon à nourrir tout le monde.
1950 : Quelques trente ans plus tard, la Deuxième guerre mondiale éclatait en Europe. La majorité des terres agricoles du Canada étaient exploitées par des familles nombreuses et on découvrait la conserve comme moyen important de préservation des fruits et légumes saisonniers. C’était aussi le temps du rationnement. On limitait le recours aux aliments importés et on réservait la majorité des vivres pour les militaires. Cela marquait l’époque des «vaches maigres» où le beurre était un luxe alors que la pomme de terre demeurait l’aliment de survie.
1970 : L’entrée de la femme sur le marché du travail sonnait le glas des grandes tablées de dix enfants. C’était le temps des desserts tape-à-l’œil et des cafés alcoolisés après le repas. La cuisine plus légère commençait à faire des adeptes et faire attention à son alimentation s’affichait au goût du jour. L’expo universelle de 1967 et les Jeux olympiques de Montréal de 1976 ont contribué à l’ouverture du Québec surle monde tant culturel que culinaire.
1990 : Vers la fin des années 80, on renouait avec les spécialités du terroir. Toutefois, en raison de réseaux de distribution parfois déficients, les produits tardaient à arriver aux consommateurs. Quelques années plus tard, avec l’ouverture des frontières, de nombreux produits exotiques inaccessibles autrefois trouvaient dorénavant une place sur les étalages des supermarchés. Cette tendance se poursuit encore actuellement.
Les années 2000: Pour M. Jean-Luc Boulay, chef cuisinier et propriétaire du restaurant le St-Amour et du Bistro Boréal, tout reste à construire pour la jeune nation québécoise. « Les Québécois sont curieux et ils sont en train de redécouvrir l’art de la table. Je vois les jeunes s’intéresser énormément à ce qu’ils achètent pour se nourrir. On dit que l’on est ce que l’on mange. Je pense que cette phrase n’aura jamais pris autant tout son sens. »