Le café, fruit tropical, doit son introduction dans notre hémisphère nord aux marins négociants aventuriers qui, dès le 15e siècle, ont eu le courage de s’aventurer plus loin que l’horizon. Bien que sa véritable découverte laisse place à plusieurs légendes, son commerce actuel est beaucoup plus qu’une simple histoire. Mais que se cache derrière ce fruit amer? | Par Pierre de Ruelle, président-directeur général de l’entreprise Le Café de la Compagnie des Mers du Sud, chef de file en torréfaction artisanale dans l’est de l’Amérique du Nord.
Plusieurs légendes courent au sujet de la découverte du café. Celle par exemple de la chèvre qui par hasard aurait brouté des feuilles de caféier et qui par la suite a galopé quatre jours d’affilée, ou encore celle du prophète Mahomet qui se serait fait offrir par l’ange Gabriel une tasse de café miraculeuse (la première au monde) pour soigner sa migraine tenace. Je ne peux malheureusement en endosser aucune, car elles sont toutes nébuleuses et invérifiables. Mais au fond, pourquoi pas après tout?
Deux variétés: Robusta et Arabica
Deux grandes variétés de café sont cultivées et récoltées à ce jour.
La première et la plus répandue est le Robusta, qui, comme son nom l’indique est un plant robuste. Il pousse à basse altitude, en plaines humides, et ne présente pas de problème dans des conditions difficiles. Il a la particularité de contenir deux fois plus de caféine que son cousin l’Arabica (2% versus 1%). Il est peu sensible aux maladies et à la sécheresse, il offre beaucoup de rendement et requiert peu de soins. Bref, il peut pousser et fructifier librement à l’état sauvage.
Moins dispendieux que l’Arabica, il est surtout utilisé dans les mélanges commerciaux et dans les cafés instantanés. Et il a mauvaise réputation, ce qui à mon avis est regrettable, car il existe des plants de Robusta qui dépassent sur certains points nombre d’Arabicas.
La deuxième variété, largement consommée et dont on parle abondamment, est le fameux Arabica. Il est plus fin, plus fragile, plus doux, plus fruité, plus délicat, et surtout hypersensible aux fluctuations de son environnement; sécheresse, maladies, insectes et tutti quanti….
Cultivé en altitude, à flanc de montagne, cueilli à la main et chouchouté comme on aimerait tous l’être, il a la particularité d’être acidulé.
Pays producteurs
Produit exotique par excellence, le café est cultivé sur tous les continents (sauf en Antarctique… vous devinez pourquoi!), entre les tropiques du Cancer et du Capricorne (rien à voir avec votre horoscope!). Bref, là où il fait chaud.
En Amérique (centrale et du Sud) ainsi qu’aux Caraïbes, les plants de café Arabica représentent 80% des cultures, versus 20% pour le Robusta. Soit dit en passant, le Brésil est le plus grand producteur de café au monde. En Afrique, la variété dominante cultivée est le contraire des Amériques: 80% de Robusta versus 20% pour l’Arabica, ce qui s’explique assez facilement, car l’Afrique traverse des périodes difficiles. Or, le Robusta étant un plant de café plus facile à cultiver, il tire mieux son épingle du jeu. Il constitue donc le juste choix quand on a des moyens plus primitifs et économiquement restreints.
En Asie, les variétés cultivées sont divisées en parts égales entre les Robusta et Arabica.
D’ouest en est, on se rend au Yémen, dont le fameux port est Moka. Il faut ensuite se rendre aux Indes pour trouver des cultures de café, puis au Viet Nam, en Indonésie, en Papouasie -Nouvelle Guinée et dernièrement en Australie où, semble-t-il, un problème commence à émerger; les kangourous croquent les fruits rendus à maturité. Ils doivent en sauter un coup!
Dans une catégorie à part, il y a l’île de Ste- Hélène, qui se trouve dans l’Atlantique sud, entre l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud. La culture de l’Arabica s’y pratique à 100%.
Ces grains de café ont la réputation, auprès de certains connaisseurs, d’être les meilleurs au monde, détrônant à leur avis le fameux Blue Mountain de Jamaïque et le Kona d’Hawaï. Napoléon y serait-il pour quelque chose, lui qui, y ayant connu l’exil, s’évadait volontiers dans une bonne tasse de café?
La science de la torréfaction
Le café est un fruit rouge appelé cerise. Il est cueilli, dépulpé, lavé ou séché, trié, emballé et expédié par les pays producteurs, accompagné d’un certificat d’origine dûment authentifié (pour les maisons sérieuses). Nous le recevons sous forme d’un grain vert pâle, le grain du fruit, dur comme une roche. Il faut donc le transformer afin de le rendre propre à la consommation. Cette transformation s’appelle la torréfaction et requiert l’usage d’un torréfacteur. Un torréfacteur est un four rotatif dans lequel tournent les grains de café jusqu’à ce qu’ils soient cuits à point.
C’est le temps de cuisson qui délimite la force et la couleur de torréfaction. Plus le temps est long, plus la température s’élève, plus le café noircit et prend un goût corsé. Dans nos torréfacteurs artisanaux, nous torréfions en moyenne cinq livres de café vert (c’est ainsi qu’on appelle le grain non torréfié) à la fois, entre 12 et 16 minutes pour obtenir une torréfaction brune, mi- noire ou noire. Pendant la torréfaction, le grain vert perd sa pellicule argentée et produit un gaz, l’anhydride carbonique, qui fait un bruit de crépitement. C’est entre 185 et 230 degrés C que le gros de la transformation se fera. C’est là que le grain de café changera de couleur, gonflera et développera ses arômes.
Pendant la torréfaction artisanale, l’intervention humaine est très importante, surtout dans les dernières minutes. Ainsi, ce sont nos yeux, notre odorat et même notre ouïe, au moment du crépitement en finale, qui détermineront le temps d’arrêt de cuisson. Enfin… un endroit où la machine n’a pas encore remplacé l’homme!
Puisqu’il a gonflé et s’est allégé (comme du maïs soufflé), le grain de café a alors perdu entre 10 et 15% de son poids durant la torréfaction, ce qui est tout à fait normal. Mais puisque le café est vendu au poids, cette perte représente beaucoup d’argent. Les grandes sociétés ont donc mis au point un procédé qui, au moment de la torréfaction, injecte de la vapeur d’eau sur les grains brûlants. Ceci, dans un premier temps, pour éviter des risques d’incendie, car ils torréfient 500 livres et plus à la fois. Dans un deuxième temps, ils peuvent ainsi récupérer une partie du poids envolé pendant la torréfaction (de 3% à 4%) et ils ont un meilleur contrôle sur l’homogénéisation des cafés. Par contre, le fait d’arrêter la torréfaction en y rajoutant de l’eau enlève certaines particularités fines des cafés que l’on a torréfiés.
D’autres paramètres peuvent influer sur la torréfaction: le degré d’humidité des grains verts. Est- ce une nouvelle récolte, donc plus verte, ou une ancienne, plus dense et plus sèche, ainsi que le degré hygrométrique de l’air ambiant? À ce moment, on ajuste le degré de cuisson en conséquence.
Les tendances
En 1976, le monde était divisé entre les buveurs de café instantané (90%) et les buveurs de café moulu (10%), dont la clientèle était d’origine européenne. Mr Coffee* (*cafetière électrique automatique clonée par la suite) a ensuite fait son entrée sur le marché, ce qui a eu pour effet de simplifier la préparation de café moulu. Aujourd’hui, 30 ans plus tard, nous vivons l’inverse; on consomme 10% de café instantané versus 90% de café moulu ou en grains. On n’arrête pas le progrès!
Il ne faut pas oublier aussi l’essor de l’espresso, grâce à Starbucks: qui aurait pensé qu’un Américain démocratiserait le concept d’espresso à l’échelle mondiale? Dure leçon d’humilité pour les Italiens! Au fait, il est super, leur café.
On commence aussi à voir sur le marché des pods, que je traduirai par cartouches ou portions, soit de petites quantités de café d’une tasse, prêtes à être utilisées. D’ailleurs, les grands de l’industrie ont tous emboîté le pas; ils proposent et vendent leurs cafetières adaptées à ce genre d’infusion.
Choisir son café
C’est votre palais qui aura le dernier mot, mais il y a quand même de grands principes dont il est bon de se souvenir au moment de choisir son café:
- En général, l’Arabica est de meilleure qualité que le Robusta.
- Un café en grains conserve plus facilement sa fraîcheur qu’un café moulu.
- Si vous choisissez un café moulu, assurez- vous que l’emballage est très hermétique.
- Un café frais doit dégager une bonne odeur, surtout au moment de la mouture.
- Un café de torréfaction brune est plus doux et plus fruité (acidulé) qu’un café noir. Le grain doit être bien gonflé et avoir préservé un peu de sa parche (ligne claire au milieu du grain).
- Un café de torréfaction mi-noire doit être foncé sans dégager d’huile. Il aura un goût velouté (entre doux et corsé).
- Un café de torréfaction noire est plus corsé et contient moins de caféine qu’un café brun. On entend par corsé le fait que son goût reste longtemps en bouche et qu’il est très intense. Un grain noir doit être luisant, presque huileux et foncé, mais il doit résister à la pression du doigt, sinon il est brûlé, et c’est ce qu’il goûtera.
Préparer un bon café
Les outils de préparation sont somme toute assez conventionnels. Seule l’électronique a ajouté quelques gadgets plus ou moins utiles aux nouvelles cafetières.
Faire un bon café prendra toujours sept grammes de café moulu (une cuillère à soupe comble) par tasse (un peu plus pour une cafetière à piston de type Bodum parce que moulu plus grossièrement), de l’eau à 90 ou 95 degrés C (frémissante) de bonne qualité, sans calcaire, et sans trop de chlore si possible… le tout dans une cafetière propre et bien entretenue. À ce chapitre, l’eau de source est recommandée. La cafetière sera celle de vos goûts et de vos moyens, car elles peuvent toutes faire un bon café.
Vérifiez toujours votre mouture, car elle doit être appropriée à votre cafetière, qu’il s’agisse d’une cafetière filtre, à piston, espresso italienne ou espresso électronique. Si la mouture est trop grosse, l’eau va passer tout droit, et votre café goûtera l’eau. L’inverse sera aussi malheureux. Avec une mouture trop fine, la cafetière débordera ou le café sera amer.
Il vaut mieux sans aucun doute moudre son café soi-même au dernier instant, à condition de posséder un moulin à pierres ou meules et non à lames! Les lames de ces moulins hachent le café irrégulièrement, ce qui a pour effet de donner une mouture inadéquate, soit trop fine et donc brûlée, ou trop grosse… et alors le café passe tout droit! Si on ne possède pas le bon moulin, il vaut mieux le moudre en magasin, en faisant attention par contre de vérifier si le moulin en question n’est pas utilisé pour du café aromatisé aux fraises…ou au gingembre!