Depuis l’époque des conquistadors, l’Amérique du Sud est plantée de vignes. On parle surtout de l’Argentine, mais aussi du Chili, un pays bien connu par les œnophiles québécois et qui nous propose de plus en plus de produits diversifiés de qualité. | Par Patrick Lesort, sommelier
Isolement salutaire
Entouré par l’océan Pacifique d’un côté et la chaîne des Andes de l’autre, le Chili s’étend sur 4 300 km du Pérou au cap Horn, comme une bande de terre accidentée et à la géographie très diversifiée. Cet isolement explique sans doute que les cépages chiliens aient été épargnés lors de l’épidémie de phylloxera au XIXe siècle en Europe.
Les pieds de vigne sont donc francs, c’est-à-dire sans greffe comme c’est le cas partout dans le monde; en fait, les vignes chiliennes sont d’origine et en descendance directe avec les pieds importés par les immigrants venus de France, d’Italie, d’Espagne et d’ailleurs aux siècles derniers et il n’est pas rare d’en trouver de plus de 140 ans!
Le cépage retrouvé
Il n’est pas rare non plus d’y retrouver des cépages disparus ou quasiment disparus en Europe. Le carménère est l’un d’eux. Originaires de la région de Bordeaux, les vignes y ont été anéanties par le phylloxera et par des essais infructueux de greffage. Il y a seulement une douzaine d’années, des œnologues ont retrouvé sa trace au Chili. Une belle surprise et un succès rapide : désormais, le carménère, que l’on produit en masse maintenant, est devenu une signature distinctive de la viticulture chilienne. Plus proche des cabernets que du merlot avec lequel on l’a confondu pendant longtemps, ce cépage permet de produire des vins fins de belle qualité et désormais recherchés. On en replante d’ailleurs maintenant dans le Bordelais!
Bien entendu, on retrouve surtout au Chili les incontournables cépages internationaux venus pour la plupart de France (comme les cabernet-sauvignon, merlot, syrah ou malbec pour les rouges, chardonnay et sauvignon pour les blancs), mais aussi d’Italie ou d’Espagne.
Oublions les vins chiliens d’il y a une dizaine d’années qui se ressemblaient à la fin un peu tous. La viticulture a évolué, s’est affinée et laisse parler de plus en plus les terroirs distinctifs. Des maisons comme Cousiño Macul, Concha y Toro et Errázuriz ont été au centre du développement de la viticulture chilienne. Les grands noms de la viticulture mondiale y ont, par la suite, investi beaucoup. Des maisons françaises comme Rothschild, Marnier-Lapostolle ou Lurton y ont vu une terre propice et y ont apporté leur savoir-faire.
Terroirs et diversités
Le Chili vinicole, c’est aussi une quinzaine d’appellations bien distinctes et toute une gamme de climats et de terroirs : plus de 900 km séparent la vallée de l’Elqui, au nord, à celle de Malleco, au sud. Les cimes enneigées, qui partagent le Chili de l’Argentine et de sa fameuse vallée de Mendoza, approvisionnent les vignobles en eau indispensable et irriguent souvent la terre jusqu’aux pieds des vignes; heureusement, car les pluies ne sont pas assez abondantes dans ces régions, comme au centre du pays qui est le berceau de la viticulture chilienne. Tout autour de la ville de Santiago, la capitale, se trouvent les régions vinicoles des vallées de Maipo, de Casablanca et de San Antonio bien connues des amateurs québécois.
Bío Bío et Cie
C’est aux extrémités du pays que l’on retrouve des régions vraiment très intéressantes. Au nord, la vallée du Limarí est à surveiller; au sud, ce sont les vallées de Bío Bío et d’Itata où le climat ressemble à celui qu’on retrouve dans les meilleures régions vinicoles mondiales – de la pluie quand il faut (ici, pas ou moins d’irrigation), des froids hivernaux, des saisons marquées – qui retiennent l’attention. Ces deux appellations vinicoles produisent des vins encore trop rares sur nos tablettes.
Bien entendu, on risque d’être un peu loin des 10 ou 15 $ que l’on paie d’ordinaire pour se procurer des vins chiliens… C’est d’ailleurs un problème qui caractérise cette viticulture qui produit, comme tous les meilleurs pays viticoles, de grandes cuvées (gran vino) malheureusement trop rares ici et qu’il est parfois assez difficile de vendre au même prix que certains classiques français, italiens ou espagnols. Sans aucun doute, il y a encore des a priori.