Le scénario qu’anticipe Harvey Mead n’a rien de réjouissant. Cet ex-commissaire à l’Environnement du Québec croit que le système économique, tel que nous le connaissons, s’effondrera d’ici dix ans. Au même moment où les écosystèmes dans leur ensemble seront hautement bouleversés pour avoir été surexploités. L’alimentation des humains, déjà déséquilibrée, pourrait forcer le retour à des aliments de base. | Par Lionel Levac
Lionel Levac : Que pensez-vous de l’idée selon laquelle lorsque nous achetons des aliments nous hypothéquons toujours davantage la capacité d’en produire ?
Harvey Mead : Tout à fait vrai. Le prix que nous payons nos aliments ne couvre jamais tout. De la façon dont nous mangeons, aux volumes d’aliments que nous consommons, comme occidentaux, en passant par la façon que nous produisons ces aliments. Si on pense que l’ensemble des habitants de la planète se mettait à manger et agir comme nous, c’est au moins trois planètes Terre qu’il nous faudrait pour répondre aux besoins de tout le monde. La production sur une base industrielle abaissant constamment les coûts, pour soit disant trouver place sur des marchés mondiaux très concurrentiels, ne peut être durable, c’est impossible.
LL : Est-ce que l’on mange au dépend des écosystèmes?
HM : Au dépend de l’écosystème planétaire. Nous mangeons dans l’illusion. Nous voyons les grandes prairies autant américaines que canadiennes comme des zones productives. Ces plaines sont de moins en moins productives, de plus en plus desséchées. Aussi, on retrouve partout à travers le monde des zones, autrefois riches et généreuses, qui sont aujourd’hui tout simplement mortes. Ici, le Golfe St-Laurent agonise, étouffé par les méthodes culturales, les élevages de la vallée du St-Laurent et les polluants charriés depuis les Grands Lacs. Mais il n’y a pas vraiment de calcul de ce qu’il faudrait ajouter à notre coût alimentaire pour qu’il soit représentatif. Un tel calcul n’existe pas.
LL : Et selon vous il faudrait absolument faire de tels calculs ?
HM : Absolument ; nous fonçons vers un mur. L’effondrement nous guette. Et ce n’est pas d’être alarmiste que de dire ça ; c’est la simple réalité. Je parlais de zones mortes ; il y avait un temps où on allait toujours plus loin pour produire, pour cultiver, pour s’élever devant la dégradation des territoires que l’on avait exploités. Nous arrivons au bout des terres où il est encore possible de produire des aliments. Ce n’est pas pour rien qu’à travers le monde, il y a cette ruée vers les terres, qu’il y a cet accaparement du sol encore productif.
LL : Et cela n’améliore pas la situation de déséquilibre entre pays riches et pays pauvres, entre gens qui mangent à leur faim et ceux qui n’ont presque rien ?
HM : Au contraire, on accentue ce déséquilibre. Les aliments vont à ceux qui peuvent payer, même s’ils ne paient pas le prix réel de ces aliments. Les pays riches vivent d’une dégradation de la planète qui dépasse carrément la capacité de celle-ci. Encore une fois, il n’y a pas de développement durable agricole possible à l’échelle industrielle.
LL : Mais, que faire?
HM : Il faut ralentir le rythme. Nous parlons d’aliments mais il faut aussi parler de bio-produits et de bio-carburants. Nous consommons trop d’énergie. Les ressources végétales, particulièrement, et l’utilisation du sol doivent servir à la production alimentaire. Il faut régénérer les sols et les écosystèmes. Le système est en train de s’autodétruire. Les politiciens ont toujours repoussé vers l’avant, remis à plus tard, ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Et les populations ne semblent pas très conscientes de ce qui se passe et continuent d’exiger toujours plus de sophistication dans l’offre alimentaire en même temps que des prix bas. C’est à se demander s’il n’est pas tout simplement trop tard.
LL : Alors, c’est l’impasse… On se prépare comment à l’effondrement ?
HM : Je dirais, à peine à la blague, que l’on doit se préparer à manger des pommes de terre et des choux de Siam, nos bons vieux navets. Il faut accepter que bientôt on devra être plus autonome, moins dépendant de l’énergie et encore moins de l’automobile. Il est désolant de voir qu’aucun groupe professionnel ne peut être consulté à ce sujet. Par exemple, il n’y a pas un économiste qui conçoive la suite des choses sur notre planète sans qu’il n’y ait développement. La Chine, cet immense territoire, ne satisfait que les deux tiers de ses besoins alimentaires. Dans 15 ans, la Chine devra importer deux fois le volume de ce qui est actuellement transigé par le commerce alimentaire mondial. C’est tout simplement hallucinant. Par chance, si l’on peut dire, la Chine a limité sa croissance démographique avec sa politique de l’enfant unique (qui n’est plus en vigueur, mais qui a tout de même eu l’effet de ralentissement escompté). Un mot sur l’Inde. La crise alimentaire peut y éclater rapidement ; 20 millions d’habitants s’ajoutent annuellement à sa population. Globalement, l’approche la plus logique est probablement d’adopter le mode de vie dit de simplicité volontaire.