Charlotte ne peut avaler une bouchée le pain ? Alice a horreur horreur des tomates ? Charles-Antoine ne peut pas voir de viande dans son assiette ? Et s’il s’agissait d’autre chose que de simples caprices ? | Par Sophie Lachapelle
Dès que Julien a atteint l’âge de 6 mois, Stéphanie, comme toutes les mamans, a commencé à lui donner des purées de fruits et légumes. Mais le petit a fait la grimace. Yeuk ! Il détournait la tête. Ce n’était décidément pas dans ses goûts. Toutefois, en mère responsable, Stéphanie a persisté dans ses tentatives. Elle a tenté diverses tactiques, essayé de camoufler les fruits et légumes dans d’autres aliments, usé de douceur, de fermeté. Rien n’y a fait. Au fil des repas, ce qui au départ ne semblait être qu’un léger caprice s’est transformé en aversion profonde. Si bien que vers l’âge de trois ans, le petit Julien refusait de manger quelque fruit ou un légume que ce soit, à moins qu’il ne soit en purée… et encore. « S’il trouvait des petits morceaux d’oignons dans un bouillon, il repoussait le bol automatiquement », explique Stéphanie. L’aversion a finalement pris une telle proportion qu’il refusait de manger même les aliments qui avaient été en contact, ne serait que sur la planche à découper, avec des fruits et légumes.
Capricieux le petit Julien ? Despote ? Non, phobique. Ce dernier est en effet victime d’un rare trouble psychologique appelé phobie alimentaire, parfois désigné comme aversion alimentaire. Celui-ci se décrit comme une peur non raisonnée qui est déclenchée par certains aliments qui en eux-mêmes ne présentent aucun danger, mais dont la confrontation est source d’une réaction intense d’angoisse pour le sujet. « Dans le cas d’une phobie, en plus de l’élément de peur qui n’est pas présent dans les caprices, on remarque que les réactions sont récurrentes d’une fois à l’autre, explique Josée Guérin nutritionniste et psychothérapeute. Dans certains cas, il y a même des réactions paniques. »
La phobie alimentaire peut évidemment avoir des conséquences notables sur les apports nutritifs. Dans certains cas, on peut partiellement y remédier avec des suppléments nutritionnels. Mais cette affliction entraîne aussi des conséquences fâcheuses sur les rapports sociaux. L’entourage a notamment l’impression que les parents ont manqué de fermeté. « C’est certain qu’on ne sent jugés, explique Stéphanie. Sans parler des complications techniques que cela crée. Il faut sans cesse aviser les gens chez qui nous mangeons, trouver des solutions de rechange, etc. »
Différentes approches pour mieux réussir
L’une des avenues est bien entendu la psychothérapie. C’est la solution vers laquelle les parents de Julien se sont tournés il y a trois ans. « Quand nous avons parlé de l’emmener en thérapie la première fois, nous avons senti un énorme soulagement dans ses yeux, dit Stéphanie. Pour lui, nous comprenions enfin que ce n’était pas un simple caprice de sa part. »
En thérapie, les psychologues travaillent généralement à différents niveaux, en utilisant par exemple l’approche cognitivo-comportementale. D’une part, un psychologue peut tenter, avec l’enfant et les parents, d’identifier une association mentale négative avec l’aliment. Par exemple, celui-ci pourrait avoir été introduit dans une période de grand stress, comme la disparition d’un parent. Il faut alors tenter de distinguer la situation présente, qui est sans danger, de celle, initiale, qui a causé l’association. Reprogrammer le patient en quelque sorte.
Petit à petit…
Les approches comportementales, axées sur la désensibilisation, peuvent être aussi être d’une aide précieuse. Surtout dans les cas, où, comme cela s’est avéré pour Julien, on ne parvient pas à identifier un traumatisme précis. Il s’agit alors de mettre la personne graduellement en contact avec l’élément qui déclenche la phobie, toujours dans un contexte sécuritaire et raisonné et en allant, chaque fois, un peut plus loin dans la démarche. Dans le cas de Julien, l’un des exercices consistait à aller faire l’épicerie en compagnie de sa mère et à déposer des fruits et légumes dans le panier (il rechignait même à les toucher !). Puis, graduellement, en séance de travail, on l’a encouragé à goûter des tout petits bouts de fruits ou légumes, afin de constater que rien de néfaste ne se produisait.
Dans son le cas de Julien, l’intervention d’une ergothérapeute s’est aussi avérée nécessaire. Celle-ci a constaté que Julien avait une hypersensibilité buccale. Une petite brosse douce a donc été appliquée régulièrement à l’intérieur de la bouche, afin de provoquer une désensibilisation physiologique.
Mais selon Josée Guérin, il peut y avoir approches thérapeutique qu’il y a de patients. « Les causes d’une phobie alimentaire peuvent être multiples et il n’y a pas une seule manière de traiter les cas, il faut savoir s’adapter à chaque personne », dit Josée Guérin.
« Je veux régler mon problème »
La motivation des patients est un élément clé de la réussite. À ce chapitre l’âge peut être un élément décisif. À dix ans, Julien a la maturité nécessaire pour s’impliquer. « Il a sa propre vie sociale maintenant et il subit lui-même les impacts de son aversion, dit Stéphanie. Alors il veut vraiment que ça change et y met les efforts. Je ne pense pas que nous aurions eu les mêmes résultats il y a quelques années. »
Quoiqu’il en soit, après toutes ces années, de tourments et de discussions à n’en plus finir, Julien commence enfin à connaitre de petites victoires… Il mange maintenant cinq tranches de bananes le matin. Et le melon s’est même ajouté au menu du soir. Il y a de l’espoir !