Depuis le début de l’agriculture, les grains se sont améliorés afin d’offrir de meilleurs avantages nutritionnels et des rendements plus performants. Et parallèlement à ce phénomène apparaît ce retour vers des grains simples, oubliés depuis des siècles et dans leur état originel. Qui aurait pensé que le génome du blé, aussi complexe soit-il, et donnant une grande variété de farines, serait de retour sur la table dans des déclinaisons du début du siècle dernier ? | Par Charline-Ève Pilon
Trois grands facteurs contribueraient à la popularité de ces farines. Tout d’abord, de façon générale, le créneau « bon pour la santé » est en pleine expansion dans le domaine alimentaire. Le « sans gluten » est aussi porteur dans la mouvance des intolérances, notamment avec l’épeautre et le kamut qui contiennent du gluten tout comme les autres blés, mais provoquent moins de réactions d’intolérance que le froment. Même constat avec l’amarante et le quinoa où la propriété glutéinique est totalement absente.
En outre, dans un contexte plus global, il semble que le retour aux sources et aux saveurs d’antan ait la cote. Bien souvent, les produits dérivés des grains anciens sont fabriqués par des boulangeries artisanales qui n’ajoutent généralement pas de sucre et évitent les farines raffinées, ce qui peut expliquer un engouement supplémentaire.
Un goût d’antan
Or, le goût serait également l’une des grandes raisons qui amènerait les consommateurs à opter pour les grains à l’ancienne et des pains aux céréales oubliées. C’est l’avis de Pierre Gélinas, chercheur scientifique en qualité des aliments à base de céréales au Centre de recherche et de développement sur les aliments (CRDA) à Saint-Hyacinthe. « L’épeautre (de la famille du blé) a effectivement, comme le seigle, un peu plus de protéines que le froment (blé commun), mais ce n’est pas ce qui va influencer le choix d’un ou l’autre. Les différences nutritionnelles n’étant pas assez marquantes, on serait tenté de choisir un pain aux grains anciens non pas pour sa teneur en protéines ou en minéraux, mais plutôt pour ce qu’il goûte. »
En effet, mis à part le côté rustique et ancestral de la chose, les farines anciennes font aussi un retour en raison de leurs saveurs distinctes. Ce sont pour ces raisons qu’elles vont intéresser les cuisiniers et les consommateurs de ce monde. Saveur noisette, grillée, beurrée, herbacée, caramélisée… Elles suscitent aussi un intérêt chez les chefs cuisiniers, contraints de composer avec cette nouvelle donne et qui doivent y aller de leur imagination pour les intégrer à leur menu.
Ancien versus nouveau
Lorsqu’on parle de farines anciennes, la notion de temps prévaut. Encore faut-il distinguer ce dont il est question lorsqu’on parle d’ancien par opposition à ce qui est nouveau. Le meilleur exemple est le quinoa. Alors qu’il vient d’arriver il y a quelques années sur les menus, il s’agit pourtant d’une plante millénaire cultivée dans les pays d’Amérique du Sud. Même constat avec le chia, consommé dans cette partie du monde depuis fort longtemps. Par ailleurs, peut-on dire que le millet, l’orge et l’avoine que l’on utilise depuis toujours dans notre cuisine font partie de ces variétés dites ancestrales ? Tout est une question de culture.
On désigne par « farines anciennes » ces grains abandonnés ou disparus en raison notamment de faibles rendements, de nouvelles techniques de croisement et d’hybridation, ou encore en raison d’une quête vers une meilleure résistance aux maladies et une plus grande performance boulangère. Ces grains que l’on redécouvre sont des variétés patrimoniales issues d’un territoire et d’une culture spécifiques. Cette période où l’agriculture s’est intensifiée avec l’utilisation de pesticides et la sélection de céréales plus performantes suit la Deuxième Guerre mondiale.
Quelques grains anciens
La liste des grains anciens est exhaustive. Il faut rappeler que ces cultures céréalières provenant de variétés anciennes sont souvent des microproductions. Tout d’abord, on retrouve toutes les variétés de blés anciens, souvent délaissées pour des raisons de rendement : blé pourpre, amidonnier (appelé aussi farro en italien ou emmer en anglais – un blé très parfumé), épeautre, khorasan (sous la marque de commerce KAMUT), petit épeautre (ou engrain), Red Fife (qui a des arômes de noisette et un goût légèrement sucré), Turkey Red… Toutefois, il existe aussi plusieurs variétés de seigle, de sorgho, de tef et de riz. Dans les pseudo-céréales, on retrouvera, entre autres, l’amarante et le sarrasin jaune et noir.