LE must

Existe-t-il une gastronomie québécoise?

Photo: Virginie Gosselin

Lorsqu’on observe l’histoire du Québec, la gastronomie n’arrive pas toujours au premier plan. Longtemps, on a entendu dire qu’elle était à peu près inexistante, l’alimentation étant caractérisée par des plats simples, costauds, qui nourrissaient les travailleurs dans les champs. Maintenant, il en est autrement et on assiste à son émergence. | Par Julie Filion

L’intérêt entourant ce sujet est grandissant. On n’a qu’à penser aux émissions de cuisine, aux nombreux magazines et livres qui parlent d’alimentation et ces chefs qui sont devenus des vedettes. On tente de définir ce qui nous distingue et de faire ressortir les éléments notoires et uniques de notre terroir. On pourrait croire qu’une certaine gastronomie est en train de prendre forme.

Or, qu’entendons-nous par gastronomie? Le dictionnaire Larousse la définit comme étant la « connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à l’art de déguster et d’apprécier les mets. » À la lumière de cette définition, peut-on parler de gastronomie du Québec lorsqu’on fait référence à nos fèves au lard, à la tourtière, aux cretons, à la poutine ou au smoked-meat?

Quand on pense à la gastronomie, on pense a priori plus souvent à la France et à l’Italie. Au Québec, nous avons plusieurs mets que l’on dit typiques. Oui, nous avons des traditions culinaires au Québec. On n’a qu’à penser à tous ces plats qui entourent Noël. Est-ce que traditionnel signifie gastronomique?

Et si c’était seulement une affaire de fierté? Le chef Paul Holder (qui est derrière le Holder, le Majestique, la Brasserie Bernard et le bar Waverly) avait déjà reproché cette honte qu’ont les Québécois par rapport à leur cuisine. « Les cuisines qui se distinguent ont une histoire et une tradition qu’elles entretiennent soigneusement », avait-il dit à l’époque. Heureusement, de plus en plus, on sent une fierté nouvelle au Québec pour nos classiques.

Et surtout, on tente de les remettre au goût du jour (avec des ingrédients et des produits d’ici définissant notre terroir) et de démontrer qu’il est possible de faire de belles et bonnes choses avec ce que l’on a ici. Et depuis une dizaine d’années, on sent cette tendance s’installer.

Photo: Virginie Gosselin

Coutumes et modernité
Et si c’était la version moderne de ces plats traditionnels qui constituait cette gastronomie dont on parle et qui oscille entre la modernité et la tradition?

Et c’est même une tendance que ce regain d’intérêt pour des plats négligés ou qui ont eu mauvaise presse dans le passé. Le meilleur exemple est le porc. Longtemps reliée au Québec rural, cette viande que l’on consommait dans des ragoûts et autres plats consistants retrouve ses lettres de noblesse dans des plats tels que filet de porc, côtes levées, escalopes… Même chose pour le pigeon et le faisan qui ne sont plus perçus comme de vulgaires oiseaux comme à l’époque, mais plutôt comme des plats fins.

 

Un vent de changement

On peut dire qu’un véritable vent de changement souffle depuis les 50 dernières années dans les cuisines québécoises. L’évolution culinaire a été phénoménale non seulement en ce qui concerne la disponibilité des aliments, mais aussi en matière de techniques et de raffinement du savoir culinaire.

Comment peut-on expliquer un tel engouement? Voici une hypothèse tirée du livre Gastronomie québécoise et patrimoine : « La gastronomie contemporaine est bien souvent associée à une certaine légèreté, ce qui explique peut-être sa popularité. Elle se présente comme un objet consensuel et divertissant, qui trouve facilement sa place dans l’univers de spectacle médiatique qui est le nôtre. »

C’est dorénavant une source de plaisir que de bien manger, c’est davantage accessible et surtout la valeur patrimoniale qu’on donne aux aliments  bonifie le tout. Ainsi, le sirop d’érable, la poutine, le pâté chinois, la tourtière et les cretons sont devenus des emblèmes reconnus de tous. En quelques décennies, le Québec serait passé d’une identité culinaire à peu près absente (ou du moins perçue ainsi) à une gastronomie québécoise émergente en raison de ces aliments dits patrimoniaux. La fibre identitaire vibre lorsqu’on en fait référence.

Comment expliquer le phénomène? Si l’on revient en arrière, l’une des transformations les plus marquantes du XXe siècle au Québec est l’exode rural. Ainsi, les campagnes ont été vidées au profit des villes. Ce phénomène a créé des souvenirs patrimoniaux. « La désertion des campagnes aide paradoxalement à leur permanence dans la mémoire sociale et refonde l’identité gastronomique québécoise dans un lieu qui, à défaut d’être populeux, devient de plus en plus populaire. » De ce fait, les paniers de fruits et de légumes livrés par « un fermier de famille » sont un gage d’authenticité et nous permettent de manger des aliments du terroir. Les tomates du petit producteur du coin va avoir davantage de valeur à nos yeux que celles vendues en épicerie par une grande bannière.

La démocratisation des aliments est une autre raison de cette ouverture qui tend vers une gastronomie en formation. Au XXIe siècle, les occasions de faire des choix éclairés ainsi que d’en apprendre davantage sur des plats et des façons de faire ont été démultipliées, notamment grâce à la télévision et à Internet. Alors qu’avant ce n’était que les plus nantis qui avaient accès à des produits comme certaines coupes de bœuf, du veau et des fruits et des légumes hors saison, dorénavant, ces aliments sont plus abordables et, par conséquent, consommés par une plus grande portion de la population.

Photo: Virginie Gosselin

Québec gastronomique
Finalement, plusieurs restaurateurs sont à l’origine de cet enthousiasme renouvelé. On n’a qu’à penser à Normand Laprise du Toqué, Martin Picard au Pied de Cochon, ainsi que les Jean-Luc Boulay et Jérôme Ferrer de ce monde, des mentors qui ont amené les plats traditionnels plus loin, qui ont mis en valeur les producteurs et les agriculteurs, et de ce fait ont engendré une curiosité chez les consommateurs et une passion pour les produits d’ici. Ces mêmes mentors inspirent dorénavant des chefs de la relève à revisiter la tradition.

Et si la gastronomie était le plaisir de bien manger et non pas la recherche des produits rares puis des mets chers et compliqués? Notre cuisine s’est tranquillement forgée au fil du temps avec différentes influences, notamment amérindienne, britannique et française. Elle s’est adaptée aux nouveaux arrivants en étant notamment influencée par les Italiens, les Grecs, les Chinois ainsi que le Nord de l’Afrique, notamment. Elle évolue constamment, avec des ingrédients nouveaux intégrés au fur et à mesure.

On ne dit pas après tout que Montréal est souvent répertoriée dans les palmarès de magazines comme faisant partie des destinations les plus gastronomiques au même titre que Paris, Florence et Tokyo? On a finalement rien à envier aux autres métropoles gastronomiques !

Il va s’en dire que la gastronomie au Québec est relativement jeune et évolutive. Elle est le résultat de ce qu’on trouve dans les marchés, réalisée avec des ingrédients d’ici et issue de l’héritage laissé par nos ancêtres que l’on a réinventé. Ce que l’on mange correspond à notre façon d’être, celle-ci étant définie notamment par le fait que nous avons des hivers glaciaux, ainsi que par notre culture nord-américaine.

  • Je pense que Riccardo a aidé à ce phénomène. Il a rendu accessible à tous l’art de cuisiner autres choses que les plats traditionnels de nos parents et grand-parents. Il a permis à plein de gens de gouter autre chose. Je pense que les gens ne voulaient pas payer des restaurants dispendieux et ne pas aimé ca. Le fait de gouter à la maison de voir les choses autrement pour la cuisine à aider à ce phénomène grandissement pour la gastronomie au Québec. J’en suis tellement ravie, j’adore ce nouveau phénomène. De plus, en plus, même dans de petits endroits (villages) il arrive que nous retrouvons des trésors ce qui était quasi inexistant il y a quelques années.