Pourquoi diable les gens paient-ils pour boire de l’eau alors qu’il y en a de la gratuite à profusion ? Considérant que dans la majorité des pays industrialisés l’eau potable coule à flots, on peut en déduire qu’une telle abondance et une telle facilité font du simple geste de boire de l’eau un geste insignifiant, associé au jeu d’ouverture ou de fermeture des robinets. Or, la réalité n’est pas aussi évidente puisque les statistiques démontrent une forte tendance de consommation des eaux embouteillées. | Par Charline-Ève Pilon
De plus en plus de consommateurs choisissent de débourser des centaines de fois le prix de l’eau courante des canalisations pour tendre vers l’eau embouteillée par les industriels et mise en tablette dans les marchés, les commerces, les écoles et les lieux de travail. L’idée d’acheter ce bien de consommation liquide n’est pas innocente, ni purement hydratante. Elle répond à un besoin, mais quel est-il ? Qu’est-ce qui au fond peut bien motiver les gens à acheter de cette eau portionnée et commercialisée ?
Les Québécois sont friands de l’eau embouteillée. Et même plus : ils seraient parmi les plus grands buveurs d’eau embouteillée du monde, selon Marc-Antoine Fleury, analyste en environnement et en énergie, collaborateur du livre Regard sur l’industrie de l’eau embouteillée en Amérique du Nord. On dit que, quotidiennement, ce serait près de 250 000 bouteilles d’eau de 500 ml que l’on consommerait dans la province. Il se vendait annuellement 70 millions de bouteilles d’eau au Québec il y a 20 ans, alors qu’il s’en vend près d’un milliard aujourd’hui.
Les compagnies d’eau embouteillées font des affaires d’or par les temps qui courent en raison de cette tendance de payer pour s’abreuver qui a pris de l’ampleur ces dernières années. Et les raisons qui amènent les consommateurs à faire ce choix sont multiples : ils souhaitent opter pour un choix qu’ils croient plus « santé », par peur que l’eau du robinet soit de piètre qualité, pour bien s’hydrater ou par pur snobisme. L’eau embouteillée donne une impression d’hygiène, de sécurité et d’harmonie écologique; des éléments qui figurent au premier rang des motivations des consommateurs en matière d’eau.
La carte de la pureté
Le manque de connaissances et l’absence de prise de conscience peuvent également expliquer le succès commercial de l’eau embouteillée. Il convient d’être au fait des impacts énergétiques ou environnementaux que sa production engendre, soit l’énergie pour fabriquer les bouteilles et les récupérer (au Québec, à peine 1 bouteille sur 9 est recyclée) ainsi que le pétrole consommé pour transporter toute cette eau, notamment. Il devient alors adéquat de se tourner vers d’autres options, en commençant par l’eau du robinet. Finalement, il semble que la publicité mise de l’avant par les entreprises réussisse à convaincre une grande part de buveurs d’eau. En jouant sur la peur et en laissant croire que leur produit est de meilleure qualité, les entreprises atteignent leur cible. On dit que 10 % à 15 % du coût de chaque bouteille est dédié à sa mise en valeur.
Un produit de luxe
De façon paradoxale, près de 40 % de l’eau embouteillée à travers le monde est issue du robinet. Les marques Dasani, embouteillées par Coke, et Aquafina, qui appartient à Pepsi Cola, en sont deux exemples. En calculant son prix de production, l’eau provenant d’un système d’aqueduc public peut être revendue jusqu’à 10 000 fois plus cher que lorsqu’on la boit directement du robinet. Pire : une bouteille d’eau se vend plus cher qu’une bouteille de boisson gazeuse faite à base d’eau.
Boire et payer ?
Alors que nombreux sont les gens qui paient pour de l’eau en bouteille, le débat entourant le paiement de l’eau potable provenant du robinet pour tout le monde revient sur le tapis. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas le secteur industriel qui est responsable de la plus grande partie de la consommation en eau potable au Québec, mais plutôt le secteur domestique, soit la consommation des ménages, avec 52 % comme moyenne canadienne et 40 % au Québec. Montréal est un cas particulier avec une production d’eau record par personne d’environ 1287 litres par jour.
Il a été proposé, par exemple, de fixer le tarif de l’eau potable au prix coûtant au volume (production et épuration), soit environ 54 ¢/m2 pour un montant d’environ 50 $ par année. Il reste à voir si la tarification permettrait de réduire les quantités d’eau consommées dans les villes. Mais le tout reviendrait certainement moins cher que ce que l’on peut payer pour de l’eau embouteillée.
Texte inspiré d’extraits tirés du mémoire La cérémonie de l’eau, publiée à l’Université du Québec à Montréal.