Un nouveau type de consommateur est apparu sur la scène alimentaire il y a quinze ans : le flexitarien. Peut-être en êtes-vous un sans le savoir. Quelles motivations et quels plaisirs se cachent derrière ce mode de consommation adopté par ? | Par Jordan Lebel, Ph. D., professeur en marketing alimentaire à l’Université Concordia.
Les temps changent et emportent nos habitudes alimentaires. Et parfois, des changements en surface en cachent d’autres plus profonds. Prenez, par exemple, la consommation de viande. En 2000, la consommation de viande rouge se chiffrait à 52,7kg par personne par année alors qu’en 2010 nous en mangions 11,3kg de moins.
Un récent sondage révèle en effet que 44 % d’entre nous mangeons moins de bœuf qu’il y a cinq ans. En revanche, 45 % rapportent manger plus de poulet et 63 % mangent plus de poisson. Ce n’est que le début de l’histoire. Ces statistiques et changements dans notre consommation de viande témoignent de l’émergence d’un nouveau type de consommateur.
Une nouvelle façon de manger
Nos habitudes alimentaires sont souvent difficiles à changer puisqu’elles sont ancrées dans notre routine quotidienne. C’est pourquoi l’apparition d’un nouveau mode de consommation alimentaire est notable. Un nouveau type de consommateur est récemment apparu: appelons-la «Flexie Sophie»(car en marketing on aime bien donner des noms évocateurs à nos clients-types). Flexie Sophie a adopté le flexitarisme, c’est-à-dire une diète surtout à base de végétaux mais qui n’exclut pas la consommation occasionnelle de viande. D’ailleurs, quand elle s’en permet, elle n’a pas l’impression de tricher et elle préfère d’emblée le poulet et le poisson à la viande rouge.
Le flexitarisme a été popularisé notamment par Mark Bittman, collaborateur au New York Times et auteur à succès. Celui-ci rapporte avoir perdu près de 40 kg avec son approche VB6 ou « vegetarian before 6 » (végétarien avant 18 heures). Suivant cette diète, il mangeait végétarien le jour et s’autorisait de la viande au souper s’il en ressentait le besoin. Par son approche- disons moins dogmatique ou stricte que le végétarianisme – le flexitarianisme a gagné plusieurs adeptes très rapidement en commençant par les végétariens qui trichaient déjà ! Les légumineuses, les fruits et légumes (le moins cuits ou transformés possible), et les graines (comme le quinoa, plus riches en protéines) sont les ingrédients vedettes d’un régime flexitarien.
Une fenêtre sur de nouveaux plaisirs
Plusieurs raisons et plaisirs motivent Flexie Sophie. Elle mange ainsi d’abord et surtout pour son mieux-être et son apparence physique. À manger moins de viande et de mets transformés, elle se sent plus en forme et plus alerte. Rappelons qu’il faut plus de temps et de travail au corps humain pour métaboliser les protéines provenant de la viande que celles provenant des sources privilégiées dans la diète flexitarienne.
Flexi Jean-Guy quant à lui (voici un deuxième cas – Sophie a beaucoup d’amis) a commencé à explorer cette façon de manger, timidement en premier, puis à bras ouverts, surtout pour des raisons de santé. Son cholestérol, sa goute et sa couperose s’en porte mieux. L’argument santé n’est pas négligeable et il est surtout basé sur une interprétation (plutôt libérale) de recherches suggérant qu’une diète végétarienne diminue de plus de 10 % la probabilité d’un diagnostique de cancer.
Puis, sensibilisée par divers ouvrages et reportages comme Food Inc, Eating Animals, ou autres, Flexie Sophie est préoccupée par le traitement éthique des animaux et elle est soucieuse de réduire son empreinte écologique. Car rappelons ici qu’une diète à base de protéines animales nécessite sept fois plus de terrains agricoles qu’une diète à base de plantes et que la production de viande exige de 10 à 20 fois plus d’énergie par tonne que la production de grains.
Ainsi, diminuer sa consommation de viande lui donne bonne conscience et lui procure le plaisir psychologique de contribuer au mieux-être collectif et à la santé de la planète. Flexie Sophie voit donc dans sa nouvelle diète une formule gagnante sur tous les plans: gagnant pour sa taille, sa santé, pour ses amis les animaux et pour la planète.
Le nouveau mode de consommation de Flexie Sophie l’amène à faire de belles découvertes. Plusieurs recettes flexitariennes proviennent de répertoires alimentaires étrangers. Manger flexitarien est donc une invitation à voyager en Inde, au Liban et plein d’autres destinations aux parfums et saveurs qui la sortent de sa routine.
Je suis ce que je mange
Effectuer des choix alimentaires, que ce soit en mangeant à la mode flexitarienne, en mangeant bio ou local, c’est aussi proclamer : « Voici qui je suis et voici ce qui est important pour moi. »
On peut aussi voir dans le flexitarianisme une autre influence : le désir de contrôle. L’industrie alimentaire, surtout celle des grandes surfaces et manufacturiers, contrôle l’offre alimentaire par le biais de nombreux choix et décisions réalisés à l’insu du consommateur. Par ses choix plus délibérés qu’auparavant, Flexie Sophie exprime un désir de reprendre le contrôle sur son alimentation.
Notre Flexie Sophie est-elle plus heureuse pour autant ? Certaines études prétendent que oui, mais celles-ci souffrent parfois de lacunes méthodologiques. Quoiqu’il en soit, Flexie Sophie trouve dans le flexitarianisme une nouvelle zone de confort où elle peut explorer un nouveau registre culinaire sans pour autant s’afficher végétarienne, un label et un mode de consommation qu’elle trouve trop restrictifs.
La grande industrie a tôt fait de flairer la bonne affaire. Manger flexitarien est de plus en plus facile, goûteux et plaisant. Peut-être le saviez-vous déjà, peut-être faites vous partie des amis(es) de Flexie Sophie sans le savoir !