LE must

J’ai lu dans les feuilles de thé

Le petit matin sur les collines du mont Yao laissait un nuage embrumé qui rendait le paysage mystérieux. Depuis toujours, je rêvais à cette rencontre avec un jardin de thé dont je m’étais tellement imaginé de scénarios dignes d’une épopée chinoise. | Par Philippe Mollé

Les Mystères du thé
J’étais à Beijing, grande ville de Chine où le thé a été découvert pendant l’Antiquité. Les buissons laissant deviner les feuilles de thé chargées de rosée m’invitaient à la cueillette. Le temps me ramena rapidement dans la réalité pour me plonger dans la maison de thé que Yian dirigeait.

Je paraissais inculte devant tant de savoir, tant de sérénité et tant de découvertes. Tout était divin, cérémonial et finalement accessible. L’odeur herbacée du thé se mélangeait à celle fumée des grands pu-erh. Yian m’expliqua alors la température de l’eau, la première tasse pour rincer et finalement de quelle façon, avec la tasse à demi couverte, humer des parfums inconnus à mes sens. Quelques fleurs s’ouvraient de bonheur sous l’action de l’eau chaude en laissant échapper couleurs et parfums comme une méduse qui danse dans son verre transparent. Tout était fascinant, des théières de terre cuite à celles de fonte ou de verre coloré, des contenants de bois aux boîtes secrètes tapissées de soie qui reçoivent en cadeau des galettes de thé noir fermenté. Seuls quelques biscuits secs jaunis par l’œuf venaient tutoyer la saveur douce et suave du thé noir. Un peu plus tard, les feuilles de thé me donnaient mon destin. J’allais partir pour le Japon à la recherche du thé vert, puis participer à la douloureuse cérémonie du thé.

La cérémonie oblige
Dans une ancienne vie japonaise, j’avais toujours refusé de participer à ce que tout bon Japonais traditionaliste se doit de vivre une fois dans sa vie : la cérémonie du thé. J’avais lu, puis écouté avant de prendre cette décision de participer durant plusieurs heures à cette cérémonie sérieuse où bien peu de touristes s’aventurent.

La cause en est bien simple, il faut être dans l’esprit nippon et être capable de s’assoir sur ses genoux durant quatre à six heures. Dans cette philosophie unique de boire le thé vert, on découvre tout : l’art de tenir sa tasse, de la faire tourner, de remuer le petit fouet de bambou, les multiples saluts et surtout la méditation qui accompagne ce cérémonial. Cette dernière confère des crampes de douleurs dans les articulations qui par mille fois faillirent me faire abandonner avant la fin.

Finalement, après quatre heures de ce supplice intense, Mitsuko vint me sortir du petit groupe pensant qu’il en était assez de ma personne à philosopher sur les bienfaits du thé vert matcha.

Consommer le thé au Japon est la chose la plus naturelle qui soit. Toutes les familles boivent du thé ou presque – noir parfois, parfumé, mais surtout vert – en prenant bien soin de s’assurer de la qualité et de la température de l’eau, de réchauffer les tasses avec le premier thé, mais aussi de prendre le temps de le savourer avec un rituel dont seuls les Japonais ont le secret.

Hiroshi, le mari de Mitsuko, m’emmena rencontrer, à Okinawa, madame Hanano, une centenaire bien établie qui vante sa longévité sans faille à tous ceux qui veulent croire aux vertus du thé, des algues et du sashimi.

Cette centenaire bien établie vante sa longévité sans faille à tous ceux qui veulent croire aux vertus du thé, des algues et du sashimi.

Sur un tatami de paille de riz, vêtue de son kimono d’apparat brodé de fils d’or et d’argent, elle expliqua les valeurs du thé, comment, comme antioxydant, il avait apaisé ses douleurs physiques et morales, bref tout cela pour me témoigner qu’Okinawa compte plus de centenaires qui boivent du thé vert que n’importe où ailleurs.

Je savais l’importance de la première boisson mondiale en Asie; au Tibet, sur les contreforts de l’Himalaya, lorsqu’on le sert avec le beurre de yack (un ruminant) qui flotte en surface, partout au Vietnam, en Thaïlande, en Corée, dans les rues de l’Inde et à Singapour, avec le modernisme que la ville impose. Partout le thé demeure la boisson reine. En m’envolant vers Londres, j’avais devant moi plusieurs heures de méditation qui me permettraient peut-être d’assembler ces feuilles de parfum dont la planète recherche tant de saveurs.  L’heure du thé allait sonner, enfin les scones, les petits sandwichs au cresson, aux concombres, les sablés à la confiture, le sherry et le thé servi à l’anglaise pourraient être dégustés.

Five o’clock

Si la tradition anglaise de prendre le thé l’après-midi semble s’émousser quelque peu à Londres en 2012, elle demeure encore bien présente dans les régions chez certaines familles anglaises qui osent encore préparer le « afternoon tea ». Dans la région du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre, d’où l’on tire justement la délicieuse et riche crème que l’on sert avec les scones, prendre le thé l’après-midi constitue presque un devoir dont chacun ne saurait se passer. Les Britanniques ont vraiment découvert le thé grâce à leurs anciennes colonies telles que l’Inde et Hongkong. Les Anglais ont très vite apprécié les bonheurs du thé et se sont approprié cette boisson que l’on sert nature ou encore avec un nuage de lait.

Assister à un vrai thé à l’anglaise au Dorchester ou au Ritz à Londres demeure une expérience unique. De grands plateaux d’argent sont présentés avec les différents choix de thé garnis de fleurs de jasmin, de bergamote ou d’épices. On vous sert des variétés de petits sandwichs aux concombres, au cresson, à la tomate ou encore au saumon fumé que l’on offre avec les différentes confitures et la marmelade d’orange de Séville dont le parfum ne ressemble à rien d’autre. Comme ailleurs, le grand samovar contenant l’eau du thé doit s’afficher à la bonne température. Les théières de porcelaine sont d’abord réchauffées puis vont laisser infuser le thé qui prend dès lors tout son arôme. La crème du Devon vient aussi en garniture des muffins et des scones. Ils font partie de cette fête du goût au même titre que le porto (sherry). Tandis que le Earl Grey infusait, on me servait quelques fruits en compote, que tutoyaient du regard les sandwichs aux concombres. Le cérémonial était parfait et prendre le thé devenait pour moi pure relaxation et pause sur la vie londonienne.

Dans cet esprit, il arrive aussi que certains remplacent le thé par du café, que le nuage de lait soit servi froid ou chaud. Le fromage remplace le saumon fumé, et hélas, bien souvent, le bon thé en feuilles infusé en mousseline est remplacé par du thé en sachet bien ordinaire.

Au Québec, durant des années, l’hôtel Ritz à Montréal fut la seule référence où prendre le thé à l’anglaise l’après-midi. Les temps ont changé, le Ritz a été rénové, et depuis, d’autres établissements comme l’hôtel le Saint-James et le Birks café ont emboité le pas et servent dès 16 heures le thé à l’anglaise. De la Chine au Japon, en passant par l’Inde, la route du thé nous embaume de parfums, de rites berbères comme au Maroc, de cérémonials et de plaisirs. Avec le temps, j’ai pu lire dans les feuilles de thé, celles qui témoignent de la vie des gens heureux et qui garantissent que le thé nous livrera toujours des voyages de senteurs.

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