Ayant longtemps fait du culturisme, la viande a toujours été au centre de la vie de Daniel Malo, propriétaire de la Boucherie Beau et Bien à Montréal. Élise Bellerose, du Café végane Antidote, est végétalienne depuis 5 ans. Ce qui avait commencé par un simple défi l’a amenée à réaliser les bienfaits d’une alimentation sans protéines animales, sans œufs et produits laitiers. Deux modes alimentaires, deux façons de voir les choses. La table est mise. | Par Charline-Ève Pilon
Parlez-moi de la relation que vous avez avec la consommation de viande?
Daniel Malo : « J’ai un gros appétit et on va se le dire, c’est bon de la viande! Quand tu as l’occasion d’avoir une bonne pièce, tu ne dis pas non à ça. Mais à 52 ans, je fais plus attention et je mange de la viande rouge moins souvent. Je ne mange pas du steak tous les jours, mais une fois par semaine.»
Élise Bellerose : «Je n’ai jamais été une grande fan donc arrêter d’en manger n’a pas été difficile. Mais j’en ai quand même mangée pendant 27 ans. Je savais que les produits laitiers et le poisson, ça allait être plus dur et devenir végétalienne n’est pas arrivé du jour au lendemain. J’étais quelqu’un qui était toujours fatiguée et tout d’un coup je suis devenue énergique; la couleur de ma peau a un peu changé. J’avais l’air plus en santé. Ce qui était un défi au début est devenu une façon de vivre. J’aimais ce que je devenais. Maintenant, si je reprenais un morceau de viande, je serais malade. Mon corps n’est plus habitué.»
Que pensez-vous respectivement des végétaliens et des consommateurs de viande?
Daniel Malo : « C’est un choix ; certains le font pour sauver les animaux, d’autres parce qu’ils n’aiment pas le goût. Chacun fait bien ce qu’il veut. J’en connais qui dérogent une fois de temps en temps. Je pense que ce sont les extrêmes qui sont les pires. Et il faut dire que ça coûte aussi cher de ne pas manger de viande. Les protéines de soya, les noix et autres produits dérivés, ça peut finir par coûter cher. Et l’air de rien, il m’arrive aussi d’en manger, du tofu! »
Élise Bellerose : « Il existe deux sortes de vegan : l’extrême et celui qui prône le vivre et laisser vivre. Moi je suis plus de la deuxième catégorie. Je ne suis pas Dieu le père. Si les gens aiment la viande, qu’ils en mangent! Je n’ai pas de problème avec ça. Je ne peux pas dire que c’est mal de manger de la viande. Je l’ai fait aussi. Toute ma famille aime la viande. Je respecte leur façon d’être comme elle respecte la mienne. »
Croyez-vous que le végétalisme est une tendance qui est là pour rester?
Daniel Malo : « Je pense que oui, c’est dans l’ère du temps. Ça existait avant. Je pense simple qu’il y a maintenant plus d’adeptes. Ça influence les gens à moins manger de la viande, de moins en manger ou encore de se questionner sur le produit. Mes clients sont informés et posent beaucoup de questions. Ils achètent en moins grosse quantité mais de meilleure qualité. »
Élise Bellerose : « C’est un choix alimentaire, ce n’est pas comme un morceau de vêtement que tu ne mettras plus dans deux ans. Je pense que les gens commencent tout simplement à s’intéresser à ce qu’ils mangent. Le monde s’intéresse davantage, il s’informe. C’est comme un éveil des gens. Ça existait avant aujourd’hui.»
Est-ce que votre façon de manger est un sujet autour de vous?
Daniel Malo : « Ça fait à peu près 20 ans que je suis dans le domaine de la boucherie. On me dit que je suis chanceux et que je ne manquerai jamais de viande! Il ne faut juste pas en abuser et trouver un équilibre. J’essaie de varier avec du poulet et du veau. Les gens font souvent référence à la santé quand ils savent que tu manges de la viande et surtout quand tu es boucher! Donc on m’en parle quand même pas mal!»
Élise Bellerose : « Non, c’est plus de la curiosité. Avant d’avoir mon commerce, je travaillais dans un bureau et mes collègues étaient toujours intrigués par mes lunchs qui étaient beaux et colorés. Et je leur faisais goûter des choses. Ils me posaient des questions. Devenir vegan c’est comme apprendre une nouvelle langue. Je suis devenue une référence pour ceux qui souhaitent prendre le virage. Ça me fait plaisir de montrer des recettes, de donner des conseils! »
Régime des cavernes
On a l’impression que la viande fait partie du régime carnivore depuis la nuit des temps alors que le végétalisme est relativement nouveau. Et pourtant, les premiers représentants de l’humanité, il y a environ 7 millions d’années, avaient un régime alimentaire proche de celui des primates actuels, nos proches cousins. Les australopithèques, qui vivaient il y a 3 à 4 millions d’années, d’après les renseignements fournis par leurs fossiles, avaient au menu : fruits, plantes, racines et tubercules. Probablement aussi des insectes et, à l’occasion, de petits animaux.
C’est la domestication du feu par Homo erectus il y a environ 500 000 ans qui fait de lui, le grand carnivore qui cuit sa nourriture. Les hommes du paléolithique perfectionnent leurs méthodes de chasse: ils inventent de nouveaux outils et s’attaquent à de gros gibiers. L’alimentation carnée a progressé avec nos plus proches ancêtres, Neandertal et Cro-Magnon, sont de gros mangeurs de viande. Ils apprécient aussi le poisson et les coquillages, ainsi que des fruits et des plantes quand le temps le permet.
À l’ère néolitique, 10 000 à 4000 ans av. J.-C. c’est le début de l’agriculture et de l’élevage. La culture des céréales comme le blé et l’orge, et l’élevage d’animaux de rente (porcs, bœufs, moutons et chèvres) sont inventés il y a environ 10 000 ans. Homo sapiens se sédentarise, afin de prendre soin de ses champs et de ses animaux; les céréales et le lait prennent alors une place importante dans son alimentation, au détriment de la consommation de viande, qui régresse.
Et… demain? Les experts s’accordent pour dire que dans les pays occidentaux, la tendance sera à l’individualisation: chacun mangera ce qu’il veut, quand il veut. Phénomène accentué par l’essor de la nutrigénomique, soit d’adapter son alimentation à son patrimoine génétique. Les humains du futur seront plus soucieux de diététique, ayant compris l’importance d’un bon équilibre alimentaire. Des mets hautement élaborés, destinés aux sportifs ou aux personnes souffrant de diverses pathologies, feront leur apparition.
Est-ce que le régime idéal existe? Consommer de la viande est-il dangereux pour notre santé ? L’inverse est questionnable également : ne plus consommer de viande est-il bon pour notre santé ? La réponse n’est bien évidemment pas tranchée, il y a beaucoup de facteurs et de points qui rentrent en jeu.
Le terme « adaptivore » pour le régime alimentaire de l’homme moderne semble être dorénavant utilisé. Puisqu’au final, l’humain s’adapte devant cette grande variété d’aliments qu’il peut retrouver, puis s’invente en quelque sort de nouvelles façons de manger qui lui sont propres à ses goûts et ses valeurs. Les bienfaits d’une consommation raisonnable dans une alimentation équilibrée.