La protéine animale vit une crise. Depuis quelques années, il semble y avoir un nombre grandissant de consommateurs qui n’attache plus d’importance aux viandes et produits laitiers pour se consacrer plutôt à une diète végétarienne ou même végane. Le poisson, le quinoa, les pois chiches, les lentilles, même les insectes prennent de plus en plus de place, au détriment du poulet, du porc, mais surtout du bœuf. Survol de cet état de fait. | Par Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires
Un vent de folie souffle partout au Canada. Les festivals, congrès, ateliers sur le végétarisme et le véganisme abondent. Ne pas vouloir manger de la viande devient visiblement à la mode et certaines statistiques le démontrent. Dans le cas du bœuf, les Canadiens consomment environ 94 millions de kilos en moins, par année comparativement à 2010. Une diminution énorme. Un sondage de l’Université Dalhousie publié en mai dernier suggérait que plus de trois millions de Canadiens boudaient volontairement la viande. Ce qui représente plus que la population de Montréal. De plus, puisque 54 % des gens appartenant à ce groupe ont 35 ans ou moins, il s’avère difficile d’entrevoir comment le nombre de végétariens et de végétaliens au pays diminuera durant les prochaines années. Leur influence démographique et économique ne cessera d’augmenter durant les années à venir.
Nos politiques semblent vouloir suivre cette mouvance. Même si le nouveau guide alimentaire canadien se fait attendre, Santé Canada sera en mesure d’annoncer ses couleurs d’ici quelques semaines. Si l’on se fie aux principes directeurs publiés l’an dernier, Santé Canada mettra l’accent sur les aliments d’origine végétale. Mais l’agence a aussi mentionné que le nouveau guide n’exclura pas non plus les aliments d’origine animale. Ces affirmations ne font que confirmer à quel point la tension entre les groupes d’intérêts en agriculture demeure palpable. Les producteurs bovins et laitiers, surtout, se sentent menacés par le ton des messages provenant d’Ottawa. Mais la vitesse à laquelle le mouvement végétarien et végane prend le contrôle des tribunes et des réseaux sociaux fascine. Pour plusieurs, tout semble arriver d’un coup.
Aujourd’hui, la protéine animale vit une véritable crise existentielle. Par exemple, au Canada on consomme environ 94 millions de kilos de bœuf en moins par année comparativement à 2010. Une diminution énorme. Notre demande pour la protéine se voit désormais influencée par une plus grande conscience, mais surtout, par une pluralité de valeurs.
Avouons-le, la consommation de viande a historiquement été associée à un menu extrêmement masculinisé, bourré de testostérone. Bien sûr, plusieurs femmes aiment la viande, mais l’image du BBQ, des événements sportifs et des steakhouses a toujours été intrinsèquement liée à l’homme, ce carnivore urbain pure laine par excellence. Pendant des décennies, on consacrait peu de place au pluralisme alimentaire. En fait, durant tout ce temps, aux yeux de plusieurs, ceux qui évitaient la viande faisaient partie d’un groupe d’hurluberlus.
Mais aujourd’hui, les jeunes ne se contentent pas d’acheter de la nourriture, ils adoptent les valeurs véhiculées par les produits alimentaires qu’ils veulent consommer. Environnement, bien-être animal, provenance des aliments, santé, bref, tous ces facteurs prennent de plus en plus de place. Le prix reste toujours d’une extrême importance, mais les alternatives à la protéine animale coûtent généralement moins cher. De surcroît, laisser de côté la viande fait du bien à la planète, au corps humain et au portefeuille. Mais les jeunes ne sont pas seuls dans leur croisade contre la protéine animale. Une plus grande pluralité alimentaire laisse certes de la place aux nouvelles idées, aux femmes, ainsi qu’à d’autres groupes raciaux et ethniques pour s’exprimer. D’ailleurs, la grande majorité des entreprises en démarrage dans le domaine agroalimentaire au Canada sont gérées par des femmes et des gens dont l’héritage n’est pas purement canadien. En périphérie, c’est peut-être le mouvement social actuel valorisant la diversité qui facilite les choses pour tout le monde, une hypothèse quand même difficile à démontrer, hors de tout doute. Mais cette réflexion a du mérite.
L’innovation, longtemps déficiente dans le secteur agroalimentaire, s’affirme tranquillement. On assiste à une véritable quête pour voir la nourriture autrement. Nous oublions parfois que la consommation de viande demeure un luxe pour l’ensemble de la planète. Collectivement, nous devenons progressivement des consommateurs plus consciencieux. Il ne faut donc pas se surprendre du succès du « Beyond Burger » de la chaîne canadienne A&W. Dans le seul mois de juillet dernier, A&W a vendu tous ses « Beyond Burger », faits d’une boulette à base de protéines végétales fabriquée par la firme californienne, Beyond Meat. Cette firme, appartenant entre autres à Bill Gates, tente d’offrir ses services aux grands détaillants alimentaires ici même au Canada. Nul ne saurait s’étonner de voir ces produits offerts dans leurs comptoirs de viande favoris au cours des prochains mois.
Il y aura toujours une place pour la viande sur nos menus, mais la science et les connaissances sur nos systèmes agroalimentaires nous rattrapent. Même si le mouvement végétarien et végane crée un certain malaise dans l’industrie, un plus grand choix offert aux consommateurs permettra assurément à l’industrie agroalimentaire de vivre une croissance à long terme.