Dans le monde agroalimentaire, on parle couramment de terroir en faisant allusion aux produits venant d’un endroit spécifique qui est spécialisé dans un type de culture ou de production quelconque d’où l’appellation «produits de terroir». En ce qui concerne le vin, les choses ne sont pas tout à fait pareilles. | Par Patrick Lesort
La notion de terroir est le fruit de l’addition de quatre éléments et de leur interaction : la composition du sol, le climat spécifique au vignoble, la topographie du terrain et l’art du viticulteur. Des notions que l’on trouve plus généralement en Europe, où l’on a créé depuis le début du Moyen Âge une viticulture de terroir indispensable à la personnalité des vins, qui deviennent ainsi le véritable reflet du sol. Dans les pays du Nouveau Monde, on ne pense encore au vin qu’à travers la technique et les recherches.
Pourtant, au Québec, cette notion de terrain propice, de cette terre qui donne le «goût» au vin, fait son chemin et vient peu à peu modifier la donne. Pendant des années, on plantait la vigne comme on plantait du blé ou des haricots, c’est-à-dire près de la route sur une terre que l’on possédait déjà ou qui était facile d’accès. Depuis, la viticulture québécoise a peu à peu changé. Certains producteurs choisissent enfin leur terrain pour sa qualité à la viticulture : composition du sous-sol, pente, orientation, climat, etc. Donner tous les exemples serait fastidieux, mais on peut penser à des vignobles comme le Domaine Bouchard-Champagne, sur la face sud du mont Saint-Bruno, avec un terrain acheté pour son exposition, sa pente, son drainage; à ceux de l’île Ronde, de l’île Bouchard et de l’île d’Orléans, pour les caractéristiques climatiques et géologiques spécifiques à ces îles fluviales; et aussi au Vignoble Négondos, planté volontairement sur un terrain caillouteux et peu propice à d’autres cultures. Cependant, au Québec, nous sommes encore loin de la notion d’appellations réservées à quelques arpents de terre ou à des regroupements de villages comme en France ou en Italie; nous sommes seulement au stade de faire reconnaître notre viticulture dans son ensemble. C’est déjà pas mal en si peu de temps.
Grâce à l’initiative de l’Association des vignerons du Québec, une certification Vin du Québec tend à s’implanter doucement dans la province. Certains voient cela comme une réglementation administrative contraignante, d’autres voient déjà plus loin et voudraient être plus précis quant aux lieux et à leurs spécificités distinctes. La plupart, par contre, se contentent de ce label, en se disant que ce n’est qu’un début, qu’on est sur la bonne voie et qu’il faudra attendre un peu pour se lancer dans des réglementations plus précises. En attendant, il leur faudra convaincre les instances gouvernementales de légiférer alors que nous sommes encore à attendre auprès d’elles de savoir si les vignerons pourront continuer à vendre leurs produits dans les foires et les marchés…
Pour l’instant, la notion de terroir au Québec est seulement une initiative personnelle, une vision et une volonté d’un viticulteur, ainsi qu’une question de travail et d’occasion. Ici, le terroir peut être même inventé, comme au vignoble de la Chapelle Sainte-Agnès, à Sutton, où les propriétaires ont créé de toutes pièces un paysage en terrasses sur lesquelles ils ont entassé des tonnes d’énormes roches venant du lac Brome. Ils ont été jusqu’à créer un lac artificiel pour influencer le climat local ! En fait, le terroir au Québec est surtout représenté par le savoir-faire du vigneron et de l’œnologue. Un travail primordial qui fait toute la différence. C’est aussi le choix des cépages. On le voit, on le sait, malgré les beaux efforts des œnologues qui arrivent à faire des vins rouges tout à fait acceptables grâce à un travail de vinification remarquable, le potentiel du terroir québécois est à son meilleur avec le vin blanc, qu’il soit sec, pétillant ou «de glace». Les hybrides français blancs comme le seyval et le vidal y font des merveilles. Certes, il est parfois difficile de travailler avec ces cépages, il faut les butter l’hiver, les couver comme des enfants, mais le résultat en vaut la chandelle. Dans leur ensemble, les vins blancs québécois glanent de plus en plus de concours internationaux et leur réputation dépassent désormais nos frontières, surtout si on parle de vin de glace.
Et le terroir québécois dans tout ça ? Existe-t-il vraiment ? Non, car il n’est pas légiféré comme en Europe. Oui, si on considère le potentiel géologique méconnu de nos sous-sols et la qualité des produits de vignobles qui ont su trouver une originalité particulière à leurs vins. Oui, si on considère le travail fantastique de nos vignerons et le potentiel de leurs vignes. La viticulture québécoise est jeune, elle se révèle et se bonifie chaque jour. Laissons-lui encore quelque temps pour définir et limiter exactement ses terroirs. En fait, c’est à vous de découvrir le terroir québécois à travers ses vins ! À l’instar de l’Allemagne, de l’Autriche, de l’Alsace et même désormais de l’Angleterre, notre réputation vinicole existe grâce aux vins blancs. Notre «terroir», c’est eux !