Il y a de quoi être fier de nos fromages québécois. Les fromages d’ici, longtemps boudés par les connaisseurs, remportent chaque année les honneurs dans de nombreux concours et font rayonner le terroir québécois à l’international. Fait intéressant, c’est justement par l’influence des autres pays et de l’immigration que nous avons pu créer notre identité fromagère. En constante mutation, cet art fait face aujourd’hui à une nouvelle vague de changement. | Par Marie-Josée Roy
Le goût de la liberté
Selon Yannick Achim, propriétaire de Yannick Fromagerie, les créations de nos artisans se caractérisent par une diversité d’exception. « C’est un peu la marque de commerce des fromages québécois, affirme-t-il. On est l’un des seuls endroits en Amérique du Nord à offrir autant de variété. Je parle de texture, de couleur, d’intensité aromatique, de type d’affinage de surface…On travaille toutes les catégories de fromages au Québec. » L’industrie fromagère québécoise est encore jeune et ne fait l’objet d’aucune appellation d’origine contrôlée (AOC), ce qui permet aux artisans d’expérimenter plus librement. « En Europe, les fromagers sont formés par des artisans soumis à une certaine charte de travail. C’est très restrictif. Au Québec, il n’y a pas de barrières », explique Jonathan Lapierre, chef exécutif de la restauration commerciale à l’ITHQ.
Les fromagers font leur apprentissage dans les établissements spécialisés du Québec, mais n’hésitent
pas à traverser l’océan pour s’inspirer du savoir-faire étranger. « Lors du processus de création de notre fromagerie, il y a 25 ans, les fondateurs ont fait une grande tournée européenne pour visiter plusieurs entreprises », se souvient Pascal Désilets, président de la Fromagerie L’Ancêtre.
Façonné par notre histoire
Ce savoir-faire polyvalent est également le résultat de notre histoire de colonisation et de différentes vagues d’immigration qui ont modelé le visage du Québec au fil des ans. Les premiers fromages à avoir été créés ici étaient des fromages de lait cru, suivant les procédés de fabrication français. À la suite de la conquête des Britanniques, nous avons appris de nouvelles techniques pour la fabrication de pâtes fermes, comme le cheddar, qui reste encore aujourd’hui notre fromage préféré ! Ensuite, avec l’arrivée massive d’immigrants, après les deux grandes guerres, l’importation de fromages européens a explosé.Les Québécois ont rapidement adopté ces nouvelles saveurs : la mozzarella, le parmesan, la ricotta et la feta. Nos artisans fromagers ont saisi cette occasion et ont emboîté le pas, proposant leurs propres créations de fromages fins. « Notre industrie fromagère est constamment en mutation, en évolution. C’est ce qui fait la grande force du Québec », rappelle M. Désilets. Encore aujourd’hui, l’émergence du labneh et du paneer n’est pas étrangère à l’arrivée d’immigrants indiens.
L’émergence des faux-mages
Ces temps-ci, ce n’est pas une communauté immigrante qui vient bousculer l’industrie du fromage, mais plutôt les végétaliens. Répondant à une demande grandissante pour des produits à base de protéines végétales, de nombreuses entreprises créent aujourd’hui ce qu’on appelle de faux-mages, ou vromage (avec V pour végétal). Ils sont faits souvent à base de noix de cajou, comme les produits de l’entreprise Fauxmagerie Zengarry, ou d’huile de coco, comme la gamme Gusta. En plus de répondre à des convictions environnementales, certains faux-mages se vantent d’être meilleurs pour la santé que le fromage, car ils contiennent généralement moins de gras et pas de cholestérol. Cependant, comme dans toute chose, tous les produits ne s’équivalent pas, car on retrouve dans certains des agents texturants ou de conservation. En outre, cette industrie est grandissante ; le chiffre
d’affaires de Gusta est passé de 400 000 $ à 2 millions de dollars en deux ans seulement.
Toutefois, nos fromagers ne sont pas en reste. Ils ont démontré leur capacité d’innover. Yannick Achim croit même fermement que l’expertise de nos artisans sera un jour sollicitée dans d’autres pays : « Il y a une deuxième génération qui s’en vient, des jeunes qui ont repris l’entreprise de leurs parents. Dans dix ans, ce sera encore tout un must de suivre les producteurs québécois ! »