La tolérance au lactose, plutôt que l’intolérance à cette forme de sucre, serait liée à la génétique. Elle aurait permis, il y a des milliers d’années, aux agriculteurs néolithiques européens de faire face à la famine. Zoom sur une mutation génétique fascinante. | Par Hubert Cormier, nutritionniste
Tout d’abord, quelques informations sur ce qu’est le lactose. Le lactose est un sucre naturellement présent dans le lait et les produits laitiers tels que les fromages, la crème glacée, la crème et le yogourt. Pour assurer sa digestion optimale, ce sucre – appelé disaccharide, puisqu’il est composé de deux molécules de sucre simple : un galactose et un glucose – doit être divisé jusqu’à sa plus simple expression à l’aide d’une enzyme. Le corps humain fait donc appel à la lactase, sécrétée par l’intestin, pour scinder le lactose en deux, le rendant ainsi plus digeste. Dans le cas où le corps est incapable de sécréter une quantité suffisante de lactase, le lactose demeure intact jusque dans le gros intestin où c’est la fête pour les bactéries qui le digèrent. Ces dernières s’en donnent à coeur joie, provoquant moult symptômes : ballonnements, inconforts abdominaux, gaz et diarrhée, entre autres.
Comment contrôler l’intolérance au lactose
Lorsqu’un diagnostic d’intolérance au lactose tombe, il importe de trouver son seuil de tolérance individuel. En effet, la majorité des individus touchés digèrent encore une partie du lactose et les symptômes ne sont présents qu’à la suite de l’ingestion d’une quantité importante de ce sucre. Pour trouver son seuil de tolérance, il faut malheureusement faire de nombreuses tentatives d’essais et erreurs. Plusieurs personnes pensent, à tort, qu’ils devraient éliminer complètement les produits laitiers de leur alimentation lorsqu’ils souffrent d’une intolérance au lactose, alors que ce n’est pas du tout le cas. Des études récentes ont montré que la consommation quotidienne de produits laitiers pouvait diminuer d’environ 50 % la sévérité des symptômes.
Les alternatives alimentaires
- Produits naturellement faibles en lactose : Les produits qui ont subi une fermentation, tels que le yogourt et le fromage, contiennent moins de lactose puisqu’une partie du sucre a déjà été hydrolysée durant le processus de fermentation. Ces produits sont souvent mieux tolérés. Le yogourt grec et les fromages à pâte dure sont de bons choix.
- Produits sans lactose : L’offre de produits « sans lactose » s’est littéralement multipliée ces dernières années. La mention « sans lactose » est mise en évidence sur l’emballage du produit et il suffit d’ouvrir l’oeil à l’épicerie pour les repérer.
- Substituts végétaux : Les boissons de soya, d’avoine et de noix de coco garnissent les tablettes et se déclinent en une multitude de saveurs. Mais attention, seule la boisson de soya enrichie possède des valeurs nutritives similaires au lait de vache, de par sa teneur en protéines et par l’enrichissement en vitamine A et D. Finalement, les faux-mages (fromage végétaux) représentent une alternative intéressante aux fromages réguliers.
- Préparation de lactase : Il existe des capsules de lactase (par exemple Lactaid™) qui peuvent être prises juste avant un repas ou une collation riche en lactose. On retrouve également ce produit en version liquide et prêt à être ajouté à vos boissons contenant du lait comme un bon café au lait.
- Ne pas avoir le ventre vide : Généralement, les personnes intolérantes au lactose auront une meilleure tolérance si le lactose est consommé lors d’un repas.
- Probiotiques : Selon une revue systématique, la prise de probiotiques exercerait une association positive avec la tolérance au lactose. C’est d’ailleurs pour cette raison que les yogourts sont généralement bien tolérés.
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Une différence ethnique
Chez l’humain, l’activité de la lactase diminue naturellement de 90 à 95 % au début de l’enfance où le lait maternel et/ou les préparations pour nourrissons constituent la majeure partie de l’alimentation. Cependant, dans certaines parties du monde, on observe une persistance dans la production de lactase jusqu’à l’âge adulte. Ainsi, en Amérique du Nord, seulement 6 à 22 % des individus seraient touchés par une intolérance au lactose, alors qu’en Asie, on parle de 95 à 100 % de la population. Ces changements se reflètent donc possiblement dans les différences ethniques, d’où la possibilité d’une cause génétique.
Des causes génétiques ?
La nutrigénomique est une nouvelle discipline scientifique qui utilise les technologies de génomique modernes pour étudier la relation entre les gènes, la nutrition et la santé. On sait depuis longtemps que certaines personnes réagissent différemment à certains aliments. Par exemple, les gens ayant une intolérance au lactose peuvent souffrir d’inconforts intestinaux à la suite de la consommation de certains produits laitiers, tandis que d’autres peuvent consommer ces produits sans problème.
La nutrigénomique nous permet de mieux comprendre comment nos gènes influencent la façon selon laquelle nous répondons aux aliments, aux boissons et aux suppléments que nous consommons. Dans le cas spécifique du lactose, le gène MCM6 serait impliqué. Ce dernier fait partie d’un complexe qui aide à réguler l’expression du gène codant pour l’enzyme lactase (le gène LCT) et qui joue un rôle important dans la scission du lien entre les deux molécules de sucre du lactose. Une variation génétique présente sur ce gène peut donc avoir un impact sur la capacité de l’enzyme à remplir ses fonctions adéquatement, augmentant ainsi le risque d’intolérance au lactose. On peut désormais dépister la présence de ces variations en ayant recours à un test de nutrigénétique.
Une mutation liée à notre histoire
Mais qu’est-ce qui explique vraiment l’évolution de ce gène ? Le professeur d’écologie évolutive à l’Université d’Edimbourg, Jonathan Silvertown, aborde justement ce sujet dans son dernier ouvrage Dîner avec Darwin : Des cavernes aux cuisines, l’évolution de nos assiettes. On y apprend que les premiers agriculteurs néolithiques européens étaient également intolérants au lactose à l’âge adulte, tout comme les habitants d’Asie du Sud-ouest. « Toutefois, une mutation de la persistance de la lactase serait apparue il y a quelque 7500 ans, dans les montagnes du Caucase d’Europe centrale, » peut-on lire dans son livre.
Cette mutation se serait ensuite répandue dans les pays d’Europe du Nord, puis aujourd’hui dans tous les pays dont l’héritage est européen. « Il s’agit de l’un des exemples les plus marquants de sélection naturelle positive chez l’homme. » En effet, à l’époque, être tolérant au lactose représentait alors un avantage exceptionnel en cas de famine ou quand les récoltes faisaient défaut, le lait frais étant un aliment complet. D’un autre côté, cette mutation génétique n’était pas un avantage évolutif aussi important pour les asiatiques, puisqu’ils étaient les inventeurs des procédés de fabrication de yogourt et de fromage. Ces procédés diminuaient la concentration en lactose, leur permettant alors de consommer des produits laitiers, et de profiter de tous leurs bienfaits, sans souffrir d’aucun inconvénient. C’est pourquoi cette mutation ne s’est pas répandue autant dans cette région du monde.
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