Est-ce que l’idée de manger sans risque vous stresse? Peur de la vache folle, des pesticides, des hormones, des organismes génétiquement modifiés… Jamais l’idée de se nourrir n’a été aussi prenante et influente sur nos choix quotidiens. Et jamais plus un aliment n’est consommé au hasard. | Par Julie Filion
Syndrome de stress alimentaire
Jamais les consommateurs n’ont été aussi conscients de tout ce qui a trait à l’alimentation. Pourtant, ils semblent être autant à ne plus savoir où donner de la tête lorsqu’il s’agit de se nourrir, créant par conséquent un stress alimentaire.
Selon une étude parue en 2014, plus de 8 personnes sur 10 évitent d’acheter ou de manger des aliments parce qu’ils les perçoivent comme dangereux pour la santé, selon l’Indice de stress alimentaire liée aux risques de 2014. Ainsi, 80% des personnes sondées disent avoir changé leurs habitudes alimentaires en raison de craintes liés à la nourriture.
Cette étude, conduite auprès de 600 adultes dont 300 de la région métropolitaine de recensement de Montréal et, 300, de celle de Toronto, souhaitait mesurer des changements en matière de choix d’aliments en lien avec 10 risques (tels que pesticides, gras trans, sel…) et 10 bénéfices (tels que Oméga-3, biologique, probiotiques…).
Ces chiffres indiquent à quel point les gens sont influencés tant par les attributs des aliments santé que les risques liés à d’autres, comme le mentionne dans un communiqué l’instigateur de l’étude, François Houde, expert en marketing et fondateur de VARIUM. « Entre 2004 et 2014, on s’aperçoit qu’il y a eu une augmentation significative du nombre d’enjeux qui poussent les gens à consommer ou à ne pas consommer un aliment. L’affirmation « manger mieux pour sa santé » est indéniablement une norme sociale. »
Manger avec sa tête
N’y a-t-il pas contradiction entre la popularité pour les livres de recettes et les blogues culinaires et cette impression qu’on ne peut rien manger sans prendre un risque de faire du tort à sa santé? Nécessairement ces paradoxes peuvent créer de l’anxiété.
Le sociologue Claude Fischler a analysé ce phénomène. Selon lui, la société d’aujourd’hui nous a amène à devoir manger de façon rationnelle. Les consommateurs sont de plus en plus confus et finissent par s’inventer leurs propres règles, selon ce qu’ils lisent et ce qu’ils savent sur le sujet. Et nécessairement l’anxiété de faire des mauvais choix alimentaires devient telle qu’elle peut sembler incarner une épée de Damoclès.
Comme chacun décide de mettre ce qu’il veut dans son assiette, c’est à l’individu de savoir si le produit est bon, s’il a été correctement cultivé, s’il ne risque pas de provoquer des allergies ou des intolérances, et quels sont les apports nutritionnels au quotidien dont il a besoin. Avant, on ne se posait pas de question et on mangeait ce qu’on trouvait sur la table.
«La difficulté est qu’il y a une cacophonie sur ce thème de l’alimentation, due au fait que les connaissances scientifiques sont évolutives et révisables. L’exemple le plus parlant est celui du café, qui est classé un jour cancérogène et, le lendemain, désigné comme secret de longévité. Et cela fait des années que ça dure. On a été éloigné de la connaissance des produits. On ne sait plus ce qu’on mange. Pour savoir quoi manger et remettre de l’ordre dans la cacophonie ambiante, chacun s’invente des règles alimentaires qui servent de support à la prise de décisions : sans gluten, sans sucre, hyperprotéiné… »
Retrouver le plaisir
En cherchant à bien manger ou à éviter de mal manger, faisons-nous fausse route? Pour revenir au « manger simple » il faut faire une pause sur l’alimentation dite cérébrale et surtout, éviter de tomber dans la culpabilité.
De plus en plus de professionnels de la santé recentrent le message de la saine alimentation en intégrant la notion de plaisir. Josée Guérin, psychothérapeute et nutritionniste à la Clinique Psychoalimentaire, explique comment revenir à la base.
«Il faut savoir tout d’abord qu’est-ce qui motive ces choix-là? Est-ce que c’est pour gérer notre poids, ou c’est parce que vraiment on a un problème ou une maladie quelconque? Est-ce que c’est mon corps qui décide ce que j’ai envie de manger ou c’est ma tête qui me dicte ce que je dois manger parce qu’on dit que c’est bon pour moi? Il faut aussi se demander : est-ce que j’ai besoin de ça?»
Par la suite, elle suggère de renouer avec ses repères internes, reprendre contact avec soi pour retrouver l’équilibre. Elle propose cette avenue notamment à travers ses ateliers Manger en pleine conscience.
«Les gens sont perdus dans leur tête. Ils ne savent plus comment manger, quoi choisir. Un des outils est la méditation assise ou en marchant. Par des techniques de respiration, on retrouve le contact avec son intérieur afin de reprendre plaisir à manger. On enraye les pensées, les croyances, les rigidités, les interdits. Retrouver le plaisir à manger c’est être à l’écoute de ce que j’ai envie de manger. »
Ainsi, lorsque la nourriture dicte notre vie, manger devient une expérience très désagréable qui empiète sur toutes les sphères. Et surtout, il faut cesser cette quête de la perfection alimentaire surtout lorsqu’elle devient source de souffrance et de tristesse. Car manger devrait être et rester un plaisir avant tout!