C’est bien connu : les hivers québécois peuvent être très froids, surtout pour des vignes qui ne sont pas adaptées au climat d’ici. C’est pourquoi il est rare de retrouver au Québec des vins faits à base de merlot, de cabernet sauvignon, de pinot noir ou de chardonnay. Or, grâce à la créativité de certains, nous pouvons dorénavant retrouver dans notre verre ce petit goût européen issu du sol québécois. | Par Charline-Ève Pilon
Au Vignoble du Ruisseau, à Dunham, on ne fait pas les choses à moitié. Il y a quelque temps, on y a adapté la géothermie, une technologie habituellement réservée aux bâtiments, pour travailler sur les vignes. Il s’agit d’une première mondiale. En instance de brevet international, ce procédé permet de conserver les vignes dans un état de dormance durant l’hiver en ne dépassant jamais la température de – 10 degrés, même en période de grand froid. Cette approche permet de cultiver des cépages, c’est-à-dire des variétés de vignes de type vinifera comme le pinot noir, le merlot et le chardonnay qui ne pourraient autrement résister à notre climat.
Se lancer dans le vide
Tout débute lorsque Normand Lamoureux, fraîchement retraité d’une compagnie dans le domaine de la construction et amateur de bons vins, propose à sa fille Sara, finissante au cours de sommellerie à l’ITHQ et aujourd’hui âgée de 29 ans, de se lancer dans un projet de vignoble. Elle accepte avec plaisir, même sans savoir réellement dans quoi elle s’embarque. « La construction du chai (l’endroit où sont entreposées les bouteilles), c’était la partie facile pour nous, raconte Sara Gaston, propriétaire et vigneronne du Vignoble du Ruisseau. La partie plus complexe, c’était le vin. Je savais sur papier comment faire du vin, mais l’apprendre et le faire, c’est autre chose. »
Oser la différence !
Ayant un faible pour les cépages vinifera, ces vignes d’origine européenne, la famille Lamoureux se demande comment les faire pousser en sol québécois, avec un taux de survie plus que satisfaisant. Il faut savoir que ce type de vigne meurt si la température atteint – 18 degrés. Voilà pourquoi une grande majorité de vignobles au Québec se tourne vers des cépages hybrides tels que Frontenac, Marechal Foch, Marquette et Baco noir qui sont plus tolérants au climat d’ici et qui peuvent supporter les – 30 degrés, sans mettre en péril leur rendement. Toutefois, pour la famille Lamoureux, le mot « impossible » ne fait pas partie du vocabulaire. « On s’est dit qu’on allait planter à la base des cépages qui nous font plaisir, raconte la vigneronne, mais, c’est bien beau les avoir, encore faut-il qu’ils résistent à notre climat québécois. Donc, comment on fait ça ? Il fallait que ce soit écologique et que ça ne brime pas le cercle de la nature. Aussi simple que ça peut paraître, on s’est dit qu’on allait les chauffer. » La plantation des vignes commence en 2009.
La nature et l’humain, ça peut faire un beau mélange dans tout ce qu’on fait
Un procédé unique
Ainsi, appliquant le principe de la géothermie que l’on retrouve habituellement dans le domaine de la construction, les vignerons réussissent à assurer la survie de leurs vignes. Une quinzaine de kilomètres de tuyaux dans lesquels circule un mélange de glycol alimentaire et d’eau ont été enfouis à deux mètres de profondeur sur les 7,5 hectares de vignes. À cette profondeur, il fait autour de cinq degrés en permanence, été comme hiver. Le liquide de glycol alimentaire récupère cette chaleur dans le sol et circule ensuite dans des tubes situés de chaque côté des rangs de vigne qui sont recouverts de toiles géothermiques, leur transmettant ainsi de la chaleur. L’hiver, la température assure une zone de sécurité entre la dormance et la productivité de la vigne. À la fin du mois d’avril, les toiles hivernales qui ont été mises avant la première neige sont enlevées pour avoir la
saison végétative normale. « Ce procédé nous permet de faire la culture de cépages dits nobles à grand volume et non de façon restreinte. » À son apogée, le vignoble atteindra une productivité entre 60 000 et 65 000 bouteilles annuellement.
La particularité des rouges
La problématique avec le cabernet sauvignon et le merlot, au Québec, c’est de les amener à maturité. La géothermie permet de les chauffer l’hiver, mais aussi de les réveiller un peu à l’avance au printemps. Alors que l’hiver les vignes sont sous des toiles opaques, au printemps, on met du plastique pour créer un effet de serre. « Ça permet de réveiller la vigne et de gagner du temps en saison végétative (la période durant laquelle les cultures peuvent croître). Deux semaines dans le monde du vin, c’est immense. Quand on fait les vendanges, le raisin a une bonne maturité, avec le bon taux de sucre à l’intérieur. » Les raisins rouges reteront d’ailleurs sous le plastique tout l’été, obtenant ainsi 5 à 8 degrés ressentis de plus. Les vignerons contrôlent alors la température ainsi que les précipitations.
Sceptiques confondus
Bien que certains professionnels du domaine du vin sont d’avis que le procédé utilisé dans le vignoble donne l’impression qu’on joue avec la nature, Sara a plutôt l’impression de donner un petit coup de pouce à celle-ci. « La nature et l’humain, ça peut faire un beau mélange dans tout ce qu’on fait. On ne change pas la typicité du goût du raisin ; il a les racines dans la terre. On ne joue pas vraiment avec la façon de faire le vin parce qu’on est traditionnel en ce qui concerne notre production à l’intérieur du chai, mais oui, on aide la nature. » Elle invite les gens à goûter à ses produits avant de
se forger une opinion. « Je serais heureuse de voir que ces personnes prennent la peine de les savourer. On fait des produits dont on est fier. » Et, au bout du compte, c’est le consommateur qui choisit !