Le sentiment que la majorité des personnes en surpoids expriment le plus souvent est un sentiment d’injustice : ce n’est pas juste ! Souvent, pour compléter leur réaction « épidermique », elles vont rajouter qu’en se comparant à d’autres, ce n’est vraiment pas juste !| Par le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du Service de Nutrition à l’Institut Pasteur de Lille.
Les médecins sont partagés : il y a ceux qui pensent que tous les « gros » mangent beaucoup; il y a aussi des spécialistes qui s’interrogent en constatant qu’un certain nombre de leurs patients sont devenus de petits mangeurs.
La prise de poids et l’obésité sont des problèmes d’une grande complexité, et souvent, face à ce type de problème, la tendance est à la simplification extrême, voire à la caricature. Qu’en est-il en réalité ?
L’obésité en tant qu’entité unique n’existe pas !
Il faut parler des obésités ou plutôt des personnes obèses tant il est vrai que les causes, les conséquences et les situations sont différentes. Par ailleurs, il serait totalement inapproprié, d’une part, de se comparer, d’autre part, de vouloir appliquer à tous le même remède.
Le poids n’est qu’un symptôme visible cachant des réalités psychologiques, hormonales, métaboliques et culturelles qui sont parfaitement différentes. Même le risque pour la santé n’est pas homogène. Certes, passé au-delà d’un indice de masse corporelle de 30 kg/m², on passe du surpoids à l’obésité, mais tout ne bascule pas. Il faut aussi considérer la répartition des graisses dans le corps (ventre ou cuisses par exemple) et la composition corporelle (muscles, gras…).
L’histoire pondérale de chaque personne est également très importante : être à 29 kg/m² lorsqu’on était deux ans auparavant à 26, ou, au contraire, à 32 kg/m², n’a pas du tout le même sens !
Histoire de poids
Il est essentiel de savoir que le poids d’une personne est la résultante d’une histoire et d’une trajectoire, ainsi que de phénomènes adaptatifs permanents : par exemple, au début de leur histoire, les personnes qui prennent du poids mangent toujours plus que ce qu’elles dépensent (mais ce n’est pas forcément plus que les autres ou qu’une autre personne de même âge, sexe, taille). De plus, à la faveur de changements dans leur condition de vie (travail, activité…), elles peuvent continuer à grossir sans manger plus (si elles deviennent sédentaires ou arrêtent de fumer par exemple).
Le drame de l’effet yo-yo
En suivant un premier régime alimentaire, souvent très restrictif, on perd du poids, mais ce dernier est souvent composé de graisses et de muscles. Cela occasionne donc une baisse des dépenses énergétiques puisque les muscles sont responsables de la majeure partie des dépenses du métabolisme de base. Les personnes au régime vont donc arrêter de maigrir sans manger plus.
Lorsqu’on suit un régime restrictif, il peut arriver qu’on « craque ». À ce moment, on regrossit très vite, même si on ne mange qu’un peu plus. Mais dans la mesure où l’on reprend surtout du gras (et pas du muscle), toute nouvelle perte de poids subséquente nécessitera un régime plus restrictif. C’est le début d’un cercle vicieux qui sera aggravé par l’obésité, l’âge et les problèmes orthopédiques, conduisant tous à une réduction de l’activité physique.
Voilà pourquoi il n’est pas rare que des personnes ayant une longue histoire de régimes mangent tout de même moins que des personnes de poids normal. C’est le drame de l’effet yo-yo dont sont victimes tant de personnes !
Comment la prise de poids s’installe-t-elle ?
Les graisses corporelles sont dans des cellules appelées adipocytes. Au départ, ces cellules sont indifférenciées, puis elles se spécialisent, et ceci peut survenir tout au long de la vie. Les cellules adipeuses peuvent se multiplier : ceci est particulièrement important pendant les premières années de la vie, surtout si l’alimentation est trop riche en protéines.
Le problème vient essentiellement de l’augmentation de taille (hypertrophie) des cellules adipeuses, due à des apports supérieurs aux dépenses, car c’est alors que l’excès de poids s’installe. C’est dire le rôle de la sédentarité.
Mais le stockage ne dépend pas seulement de ce que l’on mange, mais aussi de notre flore intestinale et de sa composition, ce qui crée une autre inégalité entre les personnes.
La résistance à l’amaigrissement
Les cellules adipeuses peuvent heureusement diminuer de volume, mais jamais en nombre. Si on les retire (liposuccion), l’organisme en recrute de nouvelles. L’organisme garde en mémoire le volume de tissu adipeux antérieur et tendra à revenir à ce niveau si l’on fait des régimes inappropriés.
Ainsi, une femme ayant pris une dizaine de livres dans les dernières années doit réfléchir aux causes de sa prise de poids, voir ce qu’elle peut modifier, pas à pas, dans son alimentation et son activité physique pour inverser progressivement son poids. Cependant, elle devra éviter de se mettre à la diète de façon intempestive.
Le Dr Jean-Michel Lecerf est auteur du livre À chacun son vrai poids.