LE must

Manger de la viande, un peu, beaucoup ou pas du tout?

Autrefois, avoir une alimentation où la viande était pratiquement absente semblait réservé aux initiés et aux «granos». Ce temps est révolu et dorénavant, le nombre de personnes qui souhaitent réduire leur consommation carnée sans toutefois l’éliminer augmente. Cette alternative que l’on nomme flexitarisme, prône une diversification alimentaire tout en permettant un régime omnivore. Et être un végétarien infidèle aurait plusieurs avantages. |Par Charline-Ève Pilon

Le terme flexitarisme est né aux États-Unis au début des années 2000. Plusieurs trouvant le végétarisme un peu restrictif, ont préféré se tourner vers cette pratique alimentaire beaucoup moins limitative, qui permet de varier les aliments ingérés en incorporant la viande et le poisson à l’occasion. Certaines personnes seraient d’ailleurs surprises d’apprendre qu’elles sont flexitariennes sans même le savoir.

La viande au centre de l’assiette
Bien que le terme soit relativement nouveau, ce régime mixte n’est pas récent en soi. Jusqu’au milieu des années 60, alors que la viande figurait à tous les repas, l’Église catholique en interdisait par contre sa consommation aux fidèles le vendredi. Le vendredi dit «maigre» donnait du fil à retordre aux familles qui devaient trouver autre chose à mettre dans l’assiette, l’espace d’une journée. Pour bien des consommateurs, il restait impossible d’imaginer un repas sans viande, d’autant plus que les protéines à base de soya et autres produits végétariens n’étaient pas facilement disponibles à cette époque.

Dès les années 70, la pratique a commencé à circuler davantage, mais cette fois-ci, avec la santé comme argument principal, comme l’explique la diététiste Louise Lambert-Lagacé, auteure de plusieurs livres dont Le végétarisme à temps partiel. «Les maladies cardiovasculaires étaient en progression autant que la consommation de viande. On commençait à réaliser qu’il pouvait exister un lien entre les deux. Déjà, j’invitais les gens à limiter la viande pour leur bien-être. Au début, il y a eu du scepticisme. Pour les Nord-Américains, la viande fait tellement partie de la culture.»

C’est à cette même époque que l’auteure américaine Frances Moore Laapé sortait un petit livre révolutionnaire titré Sans viande et sans regrets, qui se voulait une prise de conscience de l’omniprésence de la viande dans l’assiette. Visionnaire, elle se questionnait déjà sur la grande quantité de protéines animales ingérée, comparativement aux réels besoins. Elle suggérait même de remplacer progressivement un repas par semaine par un repas sans viande.

En 2003, le concept a rappliqué aux États-Unis avec les Meatless Monday, les lundis sans viande. Cette fois-ci, la formule n’était pas reliée à la religion. Elle visait plutôt à sensibiliser la population sur l’importance de réduire ses sources de protéines animales, reconnues pour ses gras saturés, tout en incitant les gens à manger davantage de végétaux.

Au Québec, les lundis sans viande ont été initiés il y a plus de trois ans. Un mouvement qui a pour but d’offrir des recettes, des adresses et diverses ressources afin de «conscientiser et motiver un maximum de Québécois à remplacer, chaque lundi, leurs repas de viande par des mets à base de végétaux».  Loin d’être une obligation, cette initiative est plutôt une invitation à adopter de bonnes habitudes alimentaires. Car il est désormais prouvé que réduire la viande dans son alimentation a plusieurs bienfaits sur l’humain, note la nutritionniste. «On diminue ainsi la quantité de mauvais gras et du même coup ça réduit les risques de maladies cardio-vasculaires.»

Les preuves scientifiques éloquentes s’accumulent quant au lien entre la consommation de viande rouge et l’augmentation de certaines sortes de cancer, comme celui de l’œsophage, du pancréas, des poumons, de l’estomac, de l’endomètre et de la prostate.  Le Fonds mondial de recherche contre le cancer qui est d’avis que la viande rouge doit être consommée avec modération, c’est-à-dire moins de 500 g par semaine, 100 g équivalant à la dimension d’un jeu de cartes. La Société canadienne du cancer va encore plus loin en recommandant un maximum de 300 g par semaine, soit 3 portions de 85 g à 100 g. «C’est bien beau de vouloir réduire sa consommation de viande, note Mme Lambert-Lagacé, mais le défi est de trouver d’autres sources de protéines. Une poignée de pistaches dans une salade, ce n’est pas suffisant.»

Beaucoup de viande pour rien
Un nouvel argument se greffe à celui de la santé, soit celui de l’environnement. Il faut dire que la production de viande nécessite énormément d’énergie et de ressources. Selon l’organisme Équiterre, la production d’un kilo de bœuf représente près de 15 000 litres d’eau, 7 kilos de céréales et 11 tonnes de gaz à effet de serre.

L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), en rajoute: elle avance que la production de viande (incluant le transport du bétail et de sa nourriture) est responsable de 18 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Cette contribution est plus grande que celle de toutes les formes de transport confondues.

Avec plus de 7 milliards d’humains sur la Terre, certains commencent à se demander s’il ne serait pas temps de trouver ses protéines ailleurs que dans la source animale. Au Canada, 95 % des personnes sont omnivores et elles mangent de façon quotidienne, 200 g de viande, ce qui équivaut à deux hamburgers quart de livre. Au cours de sa vie, chacun consommera environ 12 bœufs, 20 porcs, 11 moutons, 1 438 poulets, 30 dindes, 11 275 œufs, 398 kg de poissons et fruits de mer.. C’est beaucoup de vies, d’énergie et de gras pour une seule personne.

Manger éthique
Avec les scandales entourant la viande (vache folle, dose massive d’antibiotiques donnés aux porcs, etc.) le discours éthique a commencé à faire vibrer une corde sensible chez certains qui ont décidé de diminuer leur consommer de viande, non pas par manque d’intérêt, mais plutôt par compassion pour les animaux.

Mais au-delà de la question éthique, il y a celle des ressources de la planète qui se pose. Certains vont jusqu’à dire que dans quelques années, les humains n’auront plus d’autres choix que de cesser définitivement de manger de la viande, puisque la Terre aura épuisée ses richesses. Sans se vouloir alarmiste, c’est ce qu’avance le journaliste français Aymeric Caron, végétarien depuis 20 ans, dont le livre No Steak, vient d’arriver sur les tablettes. «Ce choix végétarien sera dicté par la nécessité, écrit-il. Nous allons cesser de manger des animaux d’abord pour des raisons pratiques, parce que nous n’aurons pas les moyens de répondre à la demande croissante de viande, liée notamment à l’explosion démographique. »

Selon M. Caron, jamais autant de viande n’a été mangée dans l’histoire des humains qu’aujourd’hui: entre 50 et 60 milliards d’entre eux finiraient leur vie dans l’assiette, annuellement. Selon la FAO, la consommation de viande aurait quadruplé dans le monde en cinquante ans.

Le sans-viande cinq étoiles
Dans le milieu de l’alimentation, le flexitarisme est devenu un outil de marketing visant des consommateurs bien précis. On n’a qu’à penser à la décision du Commensal, entreprise pionnière dans la restauration végétarienne, de changer son menu à l’automne, en ajoutant un volet adressé aux flexitariens pour élargir sa clientèle. D’autres restaurants affichent leurs couleurs végétariennes et même végétaliennes, comme Crudessence et Aux vivres à Montréal, pour ceux qui désirent une variété de plats sans viande qui sort des sentiers battus.

Les chefs cuisiniers n’échappent pas à ce courant, le flexitarisme étant synonyme de nouveaux défis. Il a même atteint dans certains cas, les plus hauts niveaux de la cuisine gastronomique. Dans différents ouvrages, entre autres dans Pas besoin d’être végé pour aimer ce livre, de grands chefs comme Normand Laprise et Daniel Vézina donnent leur recette sans viande. Jérôme Ferrer de l’Europea, a publié dernièrement son propre livre sur le flexitarisme, Végétarien parfois / souvent/ passionnément. Par ces initiatives, les grands cuistots ont voulu montrer que le fait de se priver de viande de temps à autre ne veut pas dire qu’il faut renoncer pour autant aux plaisirs de bien manger et de bien boire.

Que ce soit une tendance ou un courant qui est là pour rester, de plus en plus de gens se sentent concernés par leur consommation de viande. Loin de vouloir être une doctrine, le flextarisme reste probablement l’une des alimentations les plus permissives et des plus variées. Et le fait de réduire un tantinet soit peu sa consommation de viande a nécessairement un impact sur la planète et la santé.

 

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